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lui-même assez de forces pour attaquer seul les troupes supérieures en nombre de la Prusse, il rétrogradait à regret vers la Bohême.

Il ne restait plus qu’à céder à la nécessité. Une capitulation, proposée le 15 octobre, fut acceptée le 16. Le roi et ses fils, toujours retirés dans la forteresse de Königstein, refusèrent obstinément d’abord de l’autoriser, puis d’y prendre part. Ce fut le général en chef qui stipula pour l’armée et pour le souverain. Les conditions furent très dures. Tous les Saxons durent mettre bas les armes et se rendre comme prisonniers de guerre. Frédéric se réserva le droit de les incorporer dans sa propre année. Seuls, les officiers ne durent pas être astreints à cette trahison forcée, mais ceux qui ne répugnaient pas à s’y associer furent déclarés libres de le faire sans être exposés dans l’avenir à aucune poursuite. L’artillerie, les bagages, tout le matériel de l’armée devint propriété prussienne. Le roi fut autorisé à sortir librement pour se rendre où bon lui semblerait, pourvu que ce fût hors du territoire saxon. Ce fut en Pologne qu’il décida de se rendre.

Le pauvre souverain n’avait pas encore quitté le sol de son royaume que déjà, presque sous ses yeux, ses soldats et même sa garde étaient enrégimentés de force sous le drapeau prussien. Frédéric ne voulait pas en avoir le démenti, il mit un grossier point d’honneur à exécuter après coup cette violation de tous les droits humains et politiques, qui ne présentaient plus pour lui aucun intérêt sérieux ; ce fut une scène aussi grotesque qu’odieuse. Les officiers, sauf quelques-uns d’origine ou de famille prussienne, ne voulurent pas profiter de la faculté que la capitulation leur avait réservée, bien qu’on leur offrît un avancement dans leur grade, et qu’en attendant on les laissât dans la misère, presque dans la famine, en leur retenant l’arriéré de leurs traitemens. Quant aux soldats, on les traîna devant le roi, pour leur lire la formule du serment au milieu d’un morne silence. Les officiers prussiens répandus dans les rangs levaient eux-mêmes et soutenaient la main des hommes, qui ne desserraient pas les dents ; puis, les déshabillant aussi par contrainte, on leur fit revêtir sur place des uniformes prussiens préparés pour eux : puéril abus de la force qui ne devait pas tarder à obtenir sa juste récompense, car on sait que le serment ainsi extorqué fut tenu avec la même sincérité qu’il avait été prêté, et dès la campagne suivante tous les Saxons avaient déserté pour former, sous les ordres d’un de leurs princes, un corps détaché qui joua un certain rôle pendant toute la durée de la guerre. C’est là pourtant ce que l’un des flatteurs de Frédéric, un Français, le marquis d’Argens, appelle gravement dans sa correspondance « incorporer Albe dans Rome et faire que les ennemis de l’état en deviennent les défenseurs. »

Peut-être au fond y avait-il dans l’ostentation tyrannique de