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lui-même trompé par le roi ? Il faut bien que ce fût l’un ou l’autre, car ce plan de détruire la puissance de la Prusse par une négociation avec l’Autriche, ce plan qui ne pouvait être mis en pratique, était au même moment non-seulement pratiqué, mais activement poursuivi et déjà presque passé en exécution à Versailles.

L’irritation causée au sein du cabinet par l’abandon inattendu de Frédéric avait reporté tous les esprits vers les propositions autrichiennes rejetées l’automne précédent. Marie-Thérèse était revenue à la charge, plus avide que jamais d’unir ses ressentimens à ceux de Louis XV contre l’ennemi qui leur était désormais commun. Ses offres étaient chaudement appuyées par Mme de Pompadour, que je n’ai plus cette fois la prétention d’en défendre ; mais ce qui pouvait dans ce sens plus encore que l’influence de la favorite ou même que le ressentiment du souverain, c’était l’évidence de l’intérêt et le cri de la nécessité. Il n’était pas possible à la France, engagée comme elle l’était dans une guerre maritime très périlleuse contre l’Angleterre, de rester sur le continent absolument dépourvue d’alliances. Vainement Frédéric assurait-il que, ne s’étant obligé qu’à rester neutre, il ne méditait contre nous aucune agression. La parole du conquérant qui pour ses premières armes avait envahi autrefois la Silésie sans déclaration de guerre ne méritait et n’obtenait aucune confiance. On pouvait tout craindre de son audace sans scrupule, même une réconciliation subite avec l’Autriche, dont la France eût été chargée de faire les frais. En acceptant les offres de Marie-Thérèse, on s’assurait au moins l’avantage de rompre le lien de l’Autriche avec l’Angleterre, union redoutable, qui durait déjà depuis un siècle, et qui, sous la conduite d’Eugène et de Marlborough, avait mis la France à deux doigts de sa perte. En les repoussant au contraire, la France courait risque de se réveiller un jour isolée, avec une flotte anglaise sur ses côtes et une coalition européenne sur ses frontières.

Il faut donc bien reconnaître, malgré l’opinion contraire, mais irréfléchie, de la plupart des historiens, que l’alliance de l’Autriche était devenue pour la France une condition de sécurité, presque d’existence, et que Frédéric ne lui avait pas laissé d’autre choix. Seulement, comme le voyait très bien le comte de Broglie, c’était une nécessité pleine de périls. La transition était très difficile à ménager, surtout pour que l’alliance nouvelle ne coûtât point à la France la perte de plus modestes, mais de plus anciens, de plus fidèles amis. Entre le péril d’être victime de Frédéric et celui d’être dupe de Marie-Thérèse, la France avait navigué dans une passe semée d’écueils, où les meilleurs pilotes ne pouvaient avancer que la sonde en main. À ce point de vue peut-être, un homme comme le comte de Broglie, à la fois militaire et diplomate, initié par quatre