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LES RÉFORMES DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE.

gratuitement ; les largesses qu’il fait, il les fait avec l’argent des contribuables. Dire que l’enseignement sera gratuit, cela revient à dire que chaque contribuable sera imposé de manière à couvrir les frais de l’instruction dispensée sans rétribution, Or, pour qu’une dépense soit mise entièrement à la charge des contribuables, il faut que l’état, c’est-à-dire l’ensemble des contribuables, soit principalement intéressé à l’institution qu’il s’agit de créer. Qui oserait dire qu’il en est ainsi pour l’enseignement primaire ? Évidemment les rapports complexes qui existent entre l’individu et la société font que ce qui touche l’un n’est pas étranger à l’antre, certainement la société est intéressée à ce que l’instruction soit répandue le plus libéralement possible ; mais l’intérêt de la famille et celui de l’individu sont bien autrement puissans, et si l’état a le devoir de contribuer à l’éducation des enfans, la famille a un devoir bien plus impérieux encore à cet égard. Le système actuel tient compte de cette double obligation de l’état et de la famille. Là où les efforts des particuliers seraient impuissans, l’état intervient. C’est lui qui organise le service de l’instruction primaire ; c’est lui, avec le département et la commune, qui établit les écoles, loge l’instituteur et lui sert un traitement fixe. Tous les contribuables participent à cette dépense, parce que tout le monde est intéressé à ce que l’enseignement public soit organisé. À côté de ce devoir d’organisation de l’état se trouve le devoir pour les familles de payer l’instruction qui est donnée à leurs enfans, et ici encore l’état se présente avec son devoir d’assistance : lorsque les familles ne peuvent payer la faible rétribution qui reste à leur charge (elle est en moyenne de 8 à 9 francs par an), les enfans sont admis gratuitement à l’école.

Tel est le système actuel ou système de la gratuité relative. S’il réussit à faire profiter les pauvres gens du bienfait de l’instruction, la société remplit son devoir, et il faudra convenir que le système de la gratuité absolue ne fait rien pour les indigens, et augmente les cotes de tous les contribuables pour décharger les familles aisées de l’accomplissement du premier de leurs devoirs. On peut se demander encore s’il est moral de décharger les familles du devoir de payer la nourriture intellectuelle de leurs enfans. N’est-ce pas relâcher les liens de la famille en détruisant ces sentimens de reconnaissance qui font de l’amour filial une affection non plus instinctive, mais éclairée ? N’est-ce pas en même temps diminuer le prix de l’instruction aux yeux des enfans que de les en rendre redevables non pas au travail de leurs parens, mais à l’état, être impersonnel dont les bienfaits ne frappent pas leur jeune intelligence ? À un autre point de vue, est-il politique de demander de nouvelles ressources à l’impôt ? Talleyrand ne cite que pour la combattre cette opinion, « que, le trésor national ne se composant que des contri-