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nue orpheline à l’âge de quatre ans et conduite à la cour du shah de Perse, son oncle, celui-ci l’avait envoyée en Europe pour la soustraire aux troubles qui agitaient le pays. Les biens de sa famille avaient été séquestrés en 1749 pour vingt années. Ce temps était révolu, elle n’avait plus pour entrer en possession qu’à obtenir l’agrément de l’impératrice, à quoi son tuteur, le grand-chancelier, s’employait activement. La fable se développait au gré des circonstances avec un succès qui ne se démentait pas.

Depuis qu’elle se croyait sûre d’épouser le prince, la dame d’Azof s’était départie de ses rigueurs pour lui, peut-être avec l’espérance de l’enchaîner plus étroitement, et ce calcul, qui eût pu être une imprudence et la perdre, avait pleinement réussi. Le prince n’avait pas tardé à mettre son ami Hornstein dans la confidence de son bonheur, et le rigide mentor, tout dévot qu’il fût, avait montré pour la faiblesse de ses élèves une indulgence plus que paternelle. Il voyait surtout dans la princesse une belle conversion à opérer, une brillante conquête à faire pour l’église. D’ailleurs le prince multipliait les fêtes, prolongeait ses séjours à Neusess, affectait de sa montrer partout en public avec la Circassienne, en un mot il affichait royalement son triomphe, comme s’il eût voulu prendre tout le pays à témoin de l’engagement qu’il avait contracté. Malgré ces démonstrations, qu’elle pouvait prendre jusqu’à un certain point pour des sûretés, la princesse ne laissait pas de ressentir une impatience d’autant plus grande que les papiers exigés pour le mariage ne devaient jamais arriver. Elle avait des périls à craindre de plus d’un côté. Vantoers, toujours en prison à Francfort, se plaignait qu’on l’oubliât et menaçait de parler. Mackay et Poncet perdaient patience en dépit des promesses du prince. Pour les apaiser, on les décorait tant qu’ils voulaient ; mais on savait qu’ils ne s’en livraient pas moins sur leurs débiteurs à des recherches qui pouvaient en apprendre un jour plus que la dame d’Azof ne désirait qu’on en sût. Aussi usait-elle des ressources les plus variées pour précipiter la conclusion. Quelquefois elle manifestait des scrupules religieux, elle se montrait alarmée du scandale de cette union coupable ; il lui était pénible de supporter une situation indigne de son nom, de sa naissance, de sa famille, et elle paraissait résolue, quoi qu’il lui en coûtât, à y mettre un terme. D’autres fois elle essayait sur le prince du ressort de la jalousie. Elle n’avait pas cessé d’être en correspondance avec Oginski ; cette correspondance devenait plus active, et la dame ne cachait pas au prince que le magnat avait eu autrefois pour elle une grande passion. Elle jouait aussi elle-même la jalousie ; elle savait qu’on voulait marier le prince et ne prétendait pas être un obstacle à son bonheur ; elle parlait d’une sépara-