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LA PRINCESSE TARAKANOV.

Celui-ci était fort endetté ; les largesses qu’il venait de faire, le surcroît de dépenses qu’il était obligé de s’imposer, mettaient le comble à ses embarras. Sur la recommandation de la princesse, M. de Marine était parti pour Paris chargé par le prince de négocier avec le gouvernement français la cession des fiefs qu’il possédait en Lorraine ; mais l’affaire n’avançait pas. Le comté d’Oberstein, dans la délicieuse vallée de la Nahe, le joyau des propriétés du prince, était si obéré que celui-ci n’en touchait plus les revenus depuis nombre d’années, et c’était là le plus grand de ses chagrins. La princesse, avec un tact exquis, lui insinuait qu’elle pourrait mettre bientôt à sa disposition les sommes nécessaires pour le dégager, et elle priait Hornstein, devenu son protecteur, d’intercéder pour que le prince voulût bien ne pas repousser ces offres.

Elle prenait de jour en jour plus d’empire sur le prince, elle voyait que les espérances dont elle se plaisait à l’amuser riaient à son cœur ; il ne lui avait pas été difficile de s’apercevoir que l’amour et l’intérêt, attisés l’un par l’autre, avaient déjà fait naître en lui la pensée de l’épouser. Pourquoi donc ne se déclarait-il pas ? Les semaines s’écoulaient, les visites se succédaient l’une à l’autre sans que le mot si longtemps attendu vînt sur ses lèvres. Un jour, il la trouva les yeux rougis par les larmes, souffrante, accablée sous le poids d’une morne tristesse. À son inquiète sollicitude, à ses pressantes questions sur la cause du chagrin auquel il la voyait en proie, elle répondit enfin qu’une lettre du grand-chancelier de Russie, le prince Galitzin, son tuteur, venait de l’informer que son oncle la rappelait sans retard en Perse pour la marier. Aussitôt le prince, avec un emportement de passion qu’il n’avait pas montré jusque-là, lui déclara qu’il ne la laisserait pas partir, qu’il l’aimait et qu’il la priait de lui accorder sa main. Elle touchait à son but. Elle feignit toutefois de paraître surprise autant qu’heureuse, et demanda pour répondre un délai de quelques jours. Elle avait besoin de consulter son tuteur. Bientôt en effet elle eut la joie d’annoncer au prince que le grand-chancelier de Russie prenait sur lui d’autoriser cette union et d’obtenir que son oncle ne s’y opposât point ; mais en même temps Hornstein, alors absent, écrivait au prince de Limbourg, et lui faisait comprendre à elle-même qu’il était nécessaire qu’elle fournît avant ce mariage des documens certains sur sa naissance. Loin d’être déconcertée par une pareille exigence, elle la trouva toute naturelle, et, en attendant les renseignemens que les gazettes russes ne tarderaient pas à publier, elle entrait dans de nouveaux détails sur son histoire. Elle était clame d’Azof sous la suzeraineté de l’impératrice de Russie et unique héritière de la maison de Voldomir. Elle appartenait à l’église grecque orthodoxe ; deve-