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le crayon et le pinceau, et qui jouait supérieurement de la harpe, c’est à lui qu’on attribue l’invention des pédales pour cet instrument. Un autre était le comte Rochefort-Velcourt, d’une famille française établie en Allemagne depuis la révocation de l’édit de Nantes, converti au catholicisme, grand-maréchal du prince de Styrum-Limbourg. Il se rencontrait parmi les habitués des gens de moindre acabit, entre autres un M. de Marine, personnage assez équivoque, espèce de vieux beau sur le retour qui cachait son âge avec le plus grand soin, mais homme nécessaire, car il n’y en avait pas de plus constamment gai ni de mieux informé des chroniques de la galanterie. On y voyait encore un M. Mackay, ancien commis du célèbre banquier Delaborde, et un M. Poncet, gros marchand de la rue Saint-Denis, tous deux également bien fournis d’argent et de vanité. Ce n’est pas précisément pour leur esprit qu’ils étaient reçus dans la maison ; mais au bout d’un mois ils avaient avancé d’assez fortes sommes à la princesse. Les deux barons, en leur faisant l’honneur de les prendre pour trésoriers, les ménageaient fort, et M. de Schenk les éblouissait par la description des trésors que la princesse Aly était appelée à recueillir bientôt en Perse.

Il était impossible que l’amour n’eût pas son rôle dans une société dont une femme belle et jeune était le centre. Oginski lui faisait une cour empressée, et il avait avec elle un commerce continuel de billets galans. Le comte Rochefort-Velcourt, qu’on disait assez mal dans ses affaires et qu’un beau mariage eût remis à flot, était un prétendant plus sérieux. Il s’était mis en tête de l’épouser. Elle lui répondait en riant, sans toutefois le décourager.

Un matin Embs, qui avait souscrit plusieurs lettres de change, fut arrêté. On apprit alors que le prétendu baron s’appelait Vantoers et qu’il était fils d’un riche fabricant de toile de Gand, en Belgique, lequel l’avait chassé de la maison paternelle à la suite de je ne sais quelles équipées. La surprise fut grande à cette fâcheuse nouvelle parmi les amis de la princesse. Mackay et Poncet avaient des raisons toutes particulières de s’étonner ; ils prirent peur, et, en gens accoutumés par profession à ne jamais négliger longtemps le côté positif des choses, ils réclamèrent avec une insistance polie le remboursement de leurs avances. Le baron de Schenk, d’un sang-froid philosophique qui ne se démentait jamais, surtout dans les grandes occasions, les assura que ce malentendu allait bientôt s’éclaircir. Pour les apaiser et tirer de prison le parent de la princesse, il obtint de M. de Marine, toujours prêt à ce genre de services, qu’il prêtât sa signature. On voulut bien s’en contenter, et les réceptions continuèrent ; mais Poncet et Mackay s’étant présentés un soir chez la princesse, on leur répondit qu’elle avait congédié