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attendaient le ciseau ; mais les boutiques et les maisons se réparèrent beaucoup plus vite, parce que la légèreté des constructions et la qualité des matériaux s’y prêtaient. Déjà Pompéi avait repris son activité et plus de fraîcheur ; de toutes parts les modeleurs en stuc et les peintres décorateurs avaient été appelés ; ils ne pouvaient suffire, et la célérité ne s’obtint qu’aux dépens du soin, du luxe et de la beauté. D’ailleurs beaucoup d’habitans avaient été appauvris par la catastrophe et se trouvaient condamnés à l’économie ; les pauvres et les affranchis, qui avaient été forcés de refaire leurs boutiques, avaient fait rajuster, sans égard à la forme ni à la couleur, les débris de marbre qu’ils avaient pu recueillir.

Le vrai malheur pour les modernes, c’est que la véritable ville de Pompéi, la ville antique, vénérable, pleine d’enseignemens, construite à diverses époques, avec son histoire, sa transformation, ses variétés de style, a disparu dans cette reconstruction. Tout a été rajeuni, c’est-à-dire ramené à un modèle uniforme, qui est le goût du temps. Combien il eût été préférable que l’éruption du Vésuve eût été avancée de quelques années, et que Pompéi, au lieu d’être ensevelie l’an 79 de l’ère chrétienne, sous Titus, eût été ensevelie avant le tremblement de terre, l’an 63, sous Néron ! La ville des anciens âges reparaîtrait aujourd’hui ; nous la verrions sortir du sol avec son caractère national, ou même avec ses caractères divers : ici se ferait sentir l’influence grecque, là persisterait la vieille tradition osque, plus loin se trahiraient les mœurs campaniennes, tandis que les monumens et les maisons refaits après l’an 63, sous l’empire, portent le cachet de l’an 63 et de l’empire : tout est inspiré par le même temps, et au milieu de cette relative stérilité on ne peut guère se flatter d’avoir sous les yeux autre chose qu’un municipe latin du Ier siècle. L’intérêt est grand assurément, et il y a longtemps que l’Europe reconnaissante s’est écriée : « le Vésuve n’a pas détruit Pompéi, il l’a conservée ; » mais combien le miracle eût été plus complet et l’archéologie plus satisfaite, si le Vésuve eût englouti la ville seize ans plus tôt, au lieu de la renverser simplement ! Ce vœu n’est pas exempt de férocité, mais je ne puis m’empêcher de regretter les curieux monumens du passé, les inscriptions osques, les temples grecs, les peintures étrusques, les maisons de la fin de la république, les théâtres avec leurs particularités propres à l’ancienne Campanie, les statues archaïques, les tombeaux des siècles primitifs, toutes ces beautés inconnues qui se seraient retrouvées enfouies sous les cendres et protégées par les cendres. En vérité, la vraie destruction de Pompéi avait eu lieu l’an 63, et la ville qui s’est relevée à sa place pour périr à son tour n’était déjà qu’une ville de la décadence, décorée par un art qui était lui-même en décadence.

Beulé.