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des esclaves enchaînés par leurs maîtres. Dans l’impossibilité de fuir, oubliés par les vivans, éperdus eux-mêmes, ils furent soit étouffés par les matières qui obstruaient les portes et les fenêtres, soit noyés par les eaux qui s’infiltraient dans les caveaux et les souterrains, soit condamnés à mourir de faim. C’est ainsi peut-être que deux squelettes trouvés dans l’amphithéâtre sont ceux de deux gladiateurs captifs. Il n’y a point de doute pour ceux qu’on a trouvés à la caserne des gladiateurs, dans la prison même, à côté des ceps de fer qu’on a recueillis dans la même chambre, et dont ils étaient parvenus à se dégager[1]. Deux squelettes de prisonniers qu’on a découverts dans la prison voisine du forum avaient encore les os des jambes pris dans les entraves fixes auxquelles les assujettissait une traverse de fer[2]. Les chevaux dans leurs écuries, les chiens attachés dans leurs niches périrent de même. On a retrouvé très peu de squelettes de chevaux, sans doute parce que les chevaux ont aidé leurs possesseurs à s’éloigner plus vite du fléau. Dans l’auberge de la voie des Tombeaux, des ossemens de cheval ont été reconnus auprès d’un mors et d’un reste de char. Il ne faut oublier non plus ni les tortues, qui se promenaient librement dans les jardins, ni les poulets familiers, ni la chèvre qui avait sauté dans un four ouvert, et qui y fut enterrée par les pierres ponces. Chose singulière, les chats avaient tous disparu, avertis par leur instinct.

J’appelle réclusion volontaire celle des gens insoucians ou timides qui s’enfermèrent, crurent que des portes solidement jointes étaient une protection suffisante, et attendirent que la pluie de pierres cessât, de même que la neige, la grêle, l’orage, qui n’ont qu’une courte durée. De plus sages prirent même des provisions. C’est ainsi que derrière la maison d’Épidius Sabinus on a vu dans une chambre[3], à côté d’un squelette, les os d’un petit animal et un vase de terre qui avait contenu quelques mets ; c’est ainsi que dans une maison située près du Vicolo Storto[4] on a remarqué des os de poulet auprès de sept squelettes qui étaient vraisemblablement ceux des esclaves de la maison, car ils étaient dans la chambre à gauche de l’atrium. Les tortures des malheureux qui se condamnèrent à une telle captivité, et qui s’aperçurent trop tard du sort qui les attendait, durent être atroces. Murés vifs par les pierres et les cendres, comme Pline avait failli l’être à Stabies, ils furent peu à peu ensevelis. Les plus heureux furent noyés par l’irruption subite des pluies torren-

  1. Pompeianarum antiquitatum historia, t. I, p. 197. Ces ceps sont aujourd’hui au musée de Naples.
  2. Dyer, Pompei, édition de 1868, p. 100.
  3. 8 mars 1869.
  4. 12 mars 1868.