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jesté, le roi pourra-t-il les soutenir autrement que par des recommandations? et si elles n’ont pas d’effet, le nom de sa majesté aura été compromis vainement[1]. » Et en conséquence, le grade et la croix demandés pour le courageux Mokranowski étaient péremptoirement refusés.

Quant au prince de Conti, il éprouva aussi plus d’une crainte; mais le sujet en était tout autre. Il craignit qu’en mettant un peu indiscrètement le ministre au pied du mur, le comte de Broglie ne s’attirât des ordres négatifs qui rendraient ou la continuation de l’affaire secrète impossible, ou le double jv3u trop apparent; c’est ce qu’il expliquait dans sa réponse.

« Le roi a approuvé ce que vous avez fait, et instruit par moi, qui lui lis vos lettres, de votre véritable façon de penser, il est bien aise que vous poursuiviez les choses qui sont à faire pour suivre ses vues par la permission de ceux qui en ont naturellement la direction; mais en même temps que vous présentez au ministre les choses comme il le faut faire... par un mouvement naturel et pour n’être responsable de rien, vous lui demandez quelquefois des ordres précis. Il y a bien des points pour lesquels cette méthode pourrait être dangereuse, et tous ceux où l’ignorance des volontés du roi... pourrait le forcer (le ministre) à nous donner des ordres qui y sont contraires, seraient, dans ce cas, embarrassans, car comment s’écarter d’un ordre clair et précis, si on n’en a pas (d’autres) qui autorisent à le faire? C’est donc avouer qu’on en a; c’est pourquoi sur tout objet lié avec les affaires secrètes, il est de la prudence de parler de manière à ne point attirer d’ordres précis que vous ne puissiez ni expliquer ni éluder. »

A quoi le comte de Broglie n’était pas en peine de répliquer un peu vertement. « Je conviens qu’il faut bien prendre garde de ne pas m’attirer du ministre des ordres assez positifs pour qu’ils puissent me gêner dans l’exécution de ceux que j’ai directement de sa majesté par le canal de votre altesse sérénissime; mais comment puis-je prendre sur moi de parler au ministre saxon sur le ton qu’elle croit que je peux prendre sans le demander au ministre, qui me prescrit exactement le contraire?.. » Et l’aimable prince, poussé ainsi dans ses derniers retranchemens par le bon sens et l’évidence, s’en tirait de bonne grâce sans rien répondre. « Vous me grondez, monsieur, lui disait-il, faites-le tant que vous voudrez, je vous le rendrai; mais j’exige que ce soit aux mêmes conditions et sans que cela vous altère plus que moi[2]. »

  1. Le marquis de Saint-Contest au comte de Broglie, 24 et 27 novembre 1752. (Dépêches officielles, ministère des affaires étrangères.)
  2. Correspondance secrète du prince de Conti et du comte de Broglie, 29 novembre, 8 et 15 décembre 1752. (Ministère des affaires étrangères.)