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gouvernement qu’il représentait. Il était à craindre en effet que le ministère français, une fois rassuré sur l’unique objet qui l’eût préoccupé, la conclusion du traité d’alliance, ne se montrât pressé de rentrer dans sa politique de réserve et d’abstention, et qu’ainsi, pour avoir trop vite réussi dans sa mission ostensible, le comte ne se trouvât privé des moyens de poursuivre la partie réservée et plus importante de sa tâche. Prévoyant ce péril, il n’imagina rien de mieux que de se vanter le moins possible de son succès, d’en présenter les résultats sous une forme modeste et dubitative, en les accompagnant des réflexions les plus insinuantes qu’il put trouver pour décider son ministre à faire un pas de plus dans la voie qu’il avait ouverte.

« Je ne prétends pas, monsieur, disait-il, que j’aie eu beaucoup besoin d’habileté pour parvenir à remplir les ordres dont j’étais chargé : quand sa majesté n’aurait point eu de ministre ici, la diète aurait eu le même sort; mais je prends la liberté de dire naturellement ce que je pense. Il me semble qu’il faudrait donner au parti de la France un autre ton que celui qu’il a. A l’exemple de mes prédécesseurs et croyant me conformer à vos instructions, je n’ai pas pris l’air que je croirais le plus convenable à l’ambassadeur de sa majesté, qui serait d’avouer que la France a des partisans dans ce pays-ci et même qu’elle désire en avoir, que sa majesté, étant garante de la liberté de la république, doit y conserver des amis et protéger ceux qui ont des sentimens conformes au soutien de cette liberté. Cette déclaration dispenserait l’ambassadeur de France de se cacher de ses démarches en lui donnant l’air de protecteur déclaré des bons patriotes et de soutien de la liberté de la république, au lieu de jouer le rôle de quelqu’un qui se cache pour former une conspiration et de faire jouer à nos amis le rôle de conjurés. » Et pour premier essai du système qu’il proposait, il demandait au ministre de récompenser l’acte hardi de Mokranowski par le don public de la croix de Saint-Louis et d’un grade dans l’armée française, et non par le salaire humiliant et secret d’une subvention pécuniaire[1].

Par le même courrier, il faisait part au prince de Conti des embarras qu’il pressentait, et lui expliquait combien était gênante pour lui et allait le devenir encore davantage une situation où il ne pouvait agir qu’en cachant à son gouvernement la moitié de ses efforts et de ses succès. Le récit des artifices auxquels il se voyait réduit était fait sur un ton comique qui dissimulait mal une secrète impa-

  1. Le comte de Broglie au marquis de Saint-Contest, 24 octobre 1752, (Dépêches officielles, ministère des affaires étrangères.)