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vaient remplacé les caquets de cour, et sans quelque chose de mignard dans le parler et de traînant dans l’accent qui, sous des lèvres rosées, était un charme de plus. Au même moment, dans les cours et dans les halles, se pressait la foule des combattans et des votans futurs, faisant retentir les voûtes du cliquetis de leurs armes et de leurs chants patriotiques, perçant les nuits par d’interminables repas, où des quartiers de bœuf mis tout entiers à la broche étaient largement arrosés par des flots de vin de Hongrie.

Précipité dans ce milieu si nouveau pour lui avec une intrigue en partie double à poursuivre, à la fois dans les salons et dans la foule, le nouvel ambassadeur surprit tout le monde et se surprit lui-même par son air d’aisance et de sang-froid. Dès le 17 septembre, écrivant au prince de Conti, il s’étonnait de ne pas éprouver plus d’embarras. « Je ne me sens pas intimidé par l’air avantageux du parti qui nous est opposé. Quand j’aurai reçu les visites de tout le monde et que je serai un peu plus dans la société, j’espère qu’on ne me trouvera ni empêtré ni embarrassé... Si on m’avait pourtant dit, il y a un an, que je jouerais ce rôle-là, on m’aurait bien étonné; je souhaite d’étonner les autres à mon tour en le jouant bien. Ce sera une preuve qu’avec de la bonne volonté on réussit à tout[1]. »

Effectivement il serait difficile de trouver la moindre trace de gêne dans la peinture vive et leste qu’il adressait presque le même jour à son ministre de la vie qu’on menait à Bialystock et de la compagnie qui s’y trouvait. « Vous ne vous souciez peut-être pas de savoir, écrivait-il au marquis de Saint-Contest, que Bialystock est un très beau lieu, et que cette maison a l’air de l’habitation d’un très grand seigneur; véritablement celui à qui elle appartient peut être regardé comme un des plus puissans particuliers d’Europe, et je ne l’appelle particulier que parce qu’il n’est pas souverain, car d’ailleurs il a de plus belles prérogatives qu’un très grand nombre de princes, et son revenu est à 1,200,000 livres de rente. On assure cependant qu’il n’est pas suffisant pour la dépense qu’il y fait. Je ne crois pouvoir mieux comparer la façon dont il vit qu’à celle de M. le duc d’Orléans à Saint-Cloud quand il donne quelque fête, à quoi il faut ajouter une cour militaire d’un nombre prodigieux d’officiers que sa charge de grand-général rassemble toujours autour de lui. »

Le jeune ambassadeur poursuit, décrivant sur le même ton l’attitude agitée et bruyante de son rival et collègue le ministre d’Angleterre, qui l’avait devancé à Bialystock pour presser la négociation du fameux traité d’alliance. Sir Charles Williams paraît avoir été un de

  1. Le comte de Broglie au prince de Conti, 17 septembre et 5 octobre 1752. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)