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tres affaires, la Pologne demeura toujours le point central auquel étaient rapportés tous les fils de cette trame mystérieuse. Envisagée de ce point de vue, qui est le véritable, la diplomatie secrète devient un monument qui honore la droiture du sens et des intentions de Louis XV autant qu’il accuse l’incurable infirmité de son caractère. On y voit à découvert et on y suit pas à pas ce qu’il a médité de faire, et ce qu’il n’a pas fait pour épargner à son règne une tache ineffaçable, à l’Europe une source d’agitations qui n’est pas encore fermée, et à la conscience des peuples un scandale qui a ébranlé, par une atteinte peut-être irréparable, les fondemens mêmes du droit public.


I.

L’histoire politique (et sous certains rapports même l’histoire philosophique et morale) du XVIIIe siècle peut être divisée en deux moitiés très distinctes par le traité conclu à Aix-la-Chapelle en 1748, qui mit fin à la grande lutte européenne connue sous le nom de guerre de la succession d’Autriche. On sait quelle avait été l’origine de cette guerre et à quelles conditions elle se termina. Pour la France et pour ses alliés, ce n’était que la continuation naturelle de la grande tradition politique inaugurée par François Ier, réduite en système par Henri IV, poursuivie avec une sagesse heureuse par Richelieu et par Mazarin, glorifiée, puis dénaturée et compromise par l’ambition de Louis XIV. L’empereur Charles VI étant mort sans enfant mâle et en laissant à sa fille unique une succession litigieuse, il était tout simple qu’un monarque français voulût profiter de cette heureuse circonstance pour porter le dernier coup aux plus anciens ennemis de sa famille et de sa couronne. Un instant en effet, on put penser que la rivalité séculaire des maisons de Bourbon et d’Autriche allait se terminer par l’anéantissement d’une des deux parties adverses. L’héritière de Charles-Quint, l’illustre Marie-Thérèse, erra fugitive et détrônée dans ses domaines héréditaires, et la couronne impériale sortit, pour la première fois après trois siècles, de la descendance de Rodolphe de Habsbourg. Un retour de fortune arrêta cette ruine presque consommée, et remit en définitive chacun des belligérans à peu près dans la situation où la guerre l’avait trouvé. La France dut restituer toutes ses conquêtes et rentrer dans les limites que lui avait laissées Louis XIV. Marie-Thérèse recouvra la plus grande partie de son héritage, dont le saint-empire, assuré à son époux et à son fils, continua de faire partie. Deux puissances seulement, de grandeur récente l’une et l’autre, tirèrent avantage de cette lutte, à laquelle elles n’avaient pourtant pris part qu’en qua-