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achevé, que la dernière bataille ne laissait plus rien à faire, et il est certain que le jour où les alliés avaient pu s’établir à l’Assomption le plus fort était fait. Un doute restait encore néanmoins tant que le chef du Paraguay, Lopez, restait debout. Pour cette fois tout est bien fini, Lopez n’existe plus, et si c’était un bandit, il a trouvé le moyen de finir de la mort des héros.

Quelque opinion qu’on se fasse de cette guerre et de l’homme qui l’a soutenue, le dictateur paraguayen, ce cacique obstiné et terrible, n’est pas moins une des plus singulières figures de l’Amérique. Après tout, il défendait son pays, il a disputé le terrain pied à pied, opposant à ses adversaires une énergie, une fécondité de ressources qu’on n’aurait pas pu soupçonner, et, ce qui est plus étrange, avec tous les crimes dont on l’accuse, il avait réussi à fanatiser cette population qu’il poussait au combat, à la misère et à la destruction. Vaincu et n’ayant plus aucune chance, il n’avait point désespéré ; il ne reculait que pas à pas, poursuivi jusque dans ces derniers temps par une armée habilement conduite, et le jour où il a été atteint par un corps brésilien, il ne s’est pas laissé prendre, il n’a pas fui. Surpris dans son camp, au milieu des forêts, vers les frontières de la Bolivie, il a fait ce qu’il a pu pour rallier ses hommes, pour les conduire au feu, et il est tombé lui-même après avoir refusé de capituler. Un de ses ministres, presque tous ses officiers, le vice-président du Paraguay, ont été tués autour de lui. Un de ses jeunes fils a aussi perdu la vie. La mort de Lopez est assurément ce qui pouvait an i ver de plus heureux pour le Brésil, qui aurait été embarrassé d’une telle capture après une telle défense, et pour le Paraguay, où une guerre acharnée n’a laissé que la famine et la destruction. Seulement c’est ici que peuvent surgir d’étranges difficultés. Que fera-t-on maintenant du Paraguay ? Chacun des alliés met la main sur ce qui lui convient : les Argentins ont pris les vastes territoires du Chaco ; le Brésil est à l’Assomption ; des dissentimens nouveaux ne sont certes pas impossibles, et le vieil Urquiza, le chef de l’Entre-Rios, s’est depuis longtemps retiré de cette guerre en se ménageant une armée de quinze mille hommes pour le cas où la république argentine aurait de nouveau maille à partir avec le Brésil. C’est ainsi qu’en Amérique les guerres naissent des guerres, au grand détriment de la civilisation, qui ne pourrait se développer que par la paix et par le travail.

ch. de mazade.


C. Buloz.