Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
SIMIDSO SEDJI.

sortait en même temps que nous, il me poussa de côté pour passer devant. Je me fâchai et réclamai vivement ; mais l’étranger se retourna en riant, et répondit quelques mots que je ne pus comprendre. Le domestique, qui avait l’air honteux, me dit par manière d’excuse que son maître avait le cœur bon et généreux, mais qu’il marchait toujours très vite, que c’était sans mauvaise intention qu’il m’avait un peu bousculé. Dans la maison, tout annonçait la richesse : partout il y avait des livres, des tableaux, des sièges, et on marchait sur des étoffes précieuses. J’aperçus une belle Japonaise, la compagne du todjin, au dire de mon guide. Elle était aussi richement vêtue que le sont les femmes des grands-officiers, et ne semblait point honteuse de son abjection. Le kotzkoï (domestique) l’aborda avec respect, et lui demanda la permission de visiter la chambre à coucher et la salle de bains du maître. En retournant à Yédo, je songeais à ce que j’avais vu et à ma propre misère.

« À quelques jours de là, je fis dans une maison de thé la rencontre d’un officier qui revenait également de Yokohama, qui parlait avec chagrin de la puissance et de l’orgueil des étrangers. Je lui dis que j’étais assez fort pour tuer n’importe lequel d’entre eux que je rencontrerais sur mon chemin. Nous causâmes longtemps, et je finis par lui apprendre mon nom et ma qualité d’homme noble. Alors nous fîmes un contrat par lequel nous prîmes l’engagement de nous associer l’un à l’autre jusqu’à la mort pour tuer des étrangers ; mais mon nouvel ami n’avait guère d’argent, car lui aussi était lonine, et il nous fallait trouver moyen de vivre en hommes libres. Nous pénétrâmes donc une nuit dans la maison d’un marchand que nous savions riche et qui habitait une maison isolée, et nous lui demandâmes de l’argent. Nous avions caché notre figure, retroussé nos manches, nous étions armés, nous étions désespérés, et nous menacions de tuer l’homme, s’il ne contentait nos exigences. Il nous compta 150 rios (environ 1,200 fr.), nous suppliant de ne pas lui demander davantage et jurant de ne pas nous poursuivre. J’achetai alors les vêtemens qui convenaient à mon rang d’officier, et, après avoir déterré mes armes, je partis avec mon ami pour Yokohama ; mais aux portes de la ville on nous demanda nos fouddas (espèce de passeport qui se porte ordinairement d’une manière visible attaché à la ceinture ou à la poignée du sabre) ; nous n’en avions pas, et, comme toutes les entrées de la ville étaient sévèrement gardées, force nous fut de rebrousser chemin. Durant plusieurs semaines, nous rodâmes dans les environs de Yokohama. Nous vîmes un grand nombre de todjin, mais ils allaient toujours par groupes de quatre ou cinq, ils étaient armés, à cheval, et tenaient le milieu de la chaussée. Dans les endroits découverts, il n’y avait pas moyen de les at-