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SIMIDSO SEDJI.

Je dis à Také de faire entrer les messagers, et j’entendis aussitôt leurs grands souliers en bois résonner dans le corridor. Ils les déposèrent à la porte avant d’entrer, et, après avoir soufflé les lanternes en papier qu’ils portaient à la main et mis dans un coin de la chambre le plus grand des deux sabres dont chacun était armé, ils ouvrirent la conversation en débitant quelques phrases de politesse sur le temps, la santé, le plaisir de me voir, et autres banalités. Impatient d’arriver au dénoûment, je les interrompis au début pour les prier de me communiquer sans retard l’objet de leur message. J’appris alors que dans l’après-midi, entre quatre et cinq heures, deux étrangers avaient été assassinés sur la grande route qui conduit de Kamakoura à Daïbouts. Le gouverneur venait de recevoir la nouvelle, et s’était empressé de la porter à la connaissance des ministres et consuls étrangers. On ne savait rien du nom et de la nationalité des victimes ; on n’avait retrouvé que leurs cadavres.

Je m’habillai à la hâte, et, précédé d’un domestique portant une lanterne, — car la nuit était noire et les rues de Yokohama ne sont pas éclairées, — je courus chez le gouverneur. Il était près de trois heures du matin, mais tout le monde était sur pied. Je fus sans délai introduit dans la salle d’audience. Malgré toutes mes instances et l’empressement apparent du gouverneur à me répondre, je n’appris à peu près rien de nouveau. « Les victimes avaient probablement été à cheval, car on avait arrêté deux chevaux sans cavaliers, elles portaient le costume de gentlemen, ce n’étaient pas des matelots. Quant aux bettos qui devaient les accompagner, on ne les avait pas retrouvés, » Le gouverneur ne put ou ne voulut m’en dire davantage, mais il consentit, après quelque hésitation, à me donner une escorte de quatre officiers japonais pour m’accompagner jusqu’à Kamakoura, où j’avais résolu de me rendre à l’instant, afin de faire cesser la pénible incertitude dans laquelle me laissaient les vagues renseignemens que je venais de recevoir.

Také avait prévu ce qui arriverait et avait pris des mesures en conséquence. En entrant à l’écurie pour donner l’ordre de seller mon cheval, je trouvai tout préparé pour le départ : le cheval sellé et bridé, le betto presque nu malgré la rigueur de la saison, ce qui indiquait qu’il s’attendait à fournir une course longue et rapide. Il avait une petite lanterne à la main ; dans l’étroite ceinture qui lui serrait fortement les reins, il avait passé le poignard que les bettos portent souvent en voyage. Mon habit de cheval, une lourde cravache plombée, un revolver à fort calibre, étaient, dans ma chambre à coucher, mis sous ma main, et, au moment où j’avais fini de m’habiller, Také me présenta un verre de vin chaud, car la nuit était fraîche, et le vieux serviteur savait qu’au plus tôt je n’arriverais pas