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temple ; on dirait des titres imprimés sur les affiches d’aujourd’hui, Polichinelle soldat, Polichinelle médecin, Polichinelle courtier d’amour, etc. C’est le héros national, c’est la Campanie antique et moderne, c’est le génie osque personnifié, ce bon et enjoué Polichinelle, docile en apparence et entêté, plein de bonhomie et de malice, menteur et naïf, dupe et mystificateur, crédule et narquois, mélange de niaiserie et de finesse spirituelle, de cynisme et de satire, de mots graveleux et d’allusions politiques, recevant des soufflets et les rendant toujours, paresseux, gourmand, voleur au besoin, mais si naturellement que cela paraît son droit, — aimable, égal d’humeur, optimiste, heureux, caressé, toujours beau, toujours aimé, toujours épousé, tiré de ses tribulations par la main de la Fortune ou récompensé par la Vénus pompéienne, — l’âme de la scène, l’unité et la fête de toute comédie, l’idole du public, qui se reconnaît en lui avec ses travers et ses goûts, avec ses vices et ses rêves.

Il faut donc constater, dans les petites choses comme dans les grandes, cette persistance de la race pour bien comprendre ce qu’étaient les habitans de l’antique Pompéi. Si l’on vous dit qu’ils étaient devenus Grecs, répondez non ; Étrusques, non ; Romains, non ; ils étaient restés des Osques, mais des Osques de la plaine (campus), c’est-à-dire des Campaniens civilisés par toutes ces influences étrangères, amollis par le climat, attachés au commerce, au luxe, aux jouissances, devenus des épicuriens dans la pratique de la vie. Ils n’ont reçu de la Grèce que les reflets, des Étrusques que la corruption, des Romains que les formes administratives, l’enveloppe politique, l’étiquette. Ils n’ont pas eu pour l’idéal et la beauté cette passion qui animait les cités helléniques ; ils n’ont demandé à l’art que des applications à la vie matérielle, des moyens de se satisfaire, du bien-être. C’est à Naples, c’est dans le midi, c’est dans les mœurs modernes qu’il faut chercher, par l’analogie et la comparaison, l’explication de ce qui vous embarrasse chez les anciens.

Si l’on mesurait la culture de l’esprit à l’abondance des manuscrits trouvés dans les maisons d’Herculanum et de Pompéi, on en conclurait que les habitans de la première ville étaient amis des lettres, ceux de la seconde fort illettrés, car on a trouvé à Herculanum mille sept cent cinquante-six manuscrits sur papyrus, pas un seul à Pompéi, pas même une de ces boîtes revêtues de bronze (scrinium) où se renfermaient les rouleaux. Les Pompéiens cependant recevaient une éducation assez étendue. Ils écrivaient et parlaient l’osque, le latin et le grec, comme Ennius, qui disait qu’il avait trois cœurs parce qu’il savait trois langues. En effet, pour peu que l’on se baisse à Pompéi, on verra sur les murailles, tout près du sol, des alphabets tracés par les enfans à l’aide d’une pointe ; ces alphabets sont triples, en caractères osques, latins et grecs. Il