Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dans le principe, les Campaniens se moquaient de la vie des champs, de la rusticité ou de la niaiserie des montagnards, des travers des petites villes de l’intérieur, du patois des autres races sabelliques. Les provinciaux étaient bafoués, mystifiés, comme aujourd’hui au théâtre de San-Carlino l’habitant de Bisceglia ou de Tarente. Les altercations et les rixes populaires étaient, comme aujourd’hui, un texte de plaisanteries plus vives et l’occasion d’un jeu plus hardi. Peu à peu, l’on généralisa et l’on inventa des types qui se développèrent et devinrent consacrés. Ces types sont non pas grotesques, mais bouffons. Le grotesque sur la scène, c’est le laid et la difformité matérielle ; le bouffon, c’est l’esprit faisant ressortir gaîment les infirmités morales. Quelques-uns des personnages adoptés par les anciens vivent encore sur le théâtre populaire : la tradition s’est maintenue parce qu’elle traduit des mœurs et des caractères qui se sont perpétués. Les auteurs citent quelques types, par exemple Bucco, balourd, demi-railleur, qui recevait les bourrades, excitait des lazzis qu’il rendait avec une niaiserie propre à mettre les rieurs de son côté ; Casnar, le Pappus des Latins, qui semble répondre au bonhomme Cassandre ; Manducus, sorte de Croquemitaine, gros mangeur (mangia macaroni), plein de forfanterie ; Maccus enfin, qui charme toujours les Napolitains après avoir absorbé les autres types, — Maccus, l’immortel Polichinelle, non pas bossu, nasillard, en gros sabots, hideux, tel que nos enfans l’applaudissent de leurs petites mains joyeuses, mais Polichinelle avec l’ancien costume national, le bonnet de feutre gris semblable aux casques coniques trouvés dans les tombeaux, la tunique blanche et bouffante par-dessus la ceinture, le pantalon large. Il est tout vêtu de blanc comme les soldats de cette fameuse armée que les Samnites avaient opposée aux Romains, et qui était couverte de vêtemens de lin d’une éclatante blancheur[1]. On a ajouté un masque qui s’arrête à la moitié du visage, moins pour exciter le rire que pour concentrer l’attention sur l’art de dire et de mimer. La grimace n’était plus possible, elle était cachée sous ce petit voile noir, et l’attention était concentrée sur les lèvres. Il fallait dès lors que les spectateurs restassent suspendus à cette bouche, n’en laissant perdre ni un pli, ni une contraction, ni un mot.

L’atellane antique s’est ainsi perpétuée, et les sujets se ressemblent aussi bien que les mœurs et les personnages. Nous connaissons quelques titres d’atellanes transportées ou imitées à Rome, Maccus soldat, Maccus gardien des scellés, Maccus gardien du

  1. Les boucliers étaient en outre argentés, et la cuirasse était de feutre blanc (spongia). — Tite-Live, livre IX, ch. 40.