Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
REVUE DES DEUX MONDES.

tait par bandes, on les jetait dehors avec une bourrade et le conseil de ne plus revenir. Une fois dans la campagne, ils ne restaient pas oisifs, et trouvaient promptement place parmi les rouleurs de plaine, les compagnons de Jéhu, les chauffeurs, qui, sous prétexte de ramener au trône de France les rois légitimes, incendiaient les fermes, arrêtaient les diligences et détroussaient les voyageurs… Ces méfaits de la mendicité ne seront point oubliés lorsqu’on rédigera le code pénal, car l’article 277 édictera la peine de deux ans à cinq ans d’emprisonnement contre tout mendiant qui aura été trouvé travesti ou porteur d’une arme quelconque, d’un instrument propre à l’effraction, quand bien même il n’en aurait fait aucun usage ; de plus, sa peine expirée, il sera soumis à la surveillance de la haute police pendant cinq ou dix ans.

Au consulat, on sortit de l’empirisme dont, faute de mieux, on s’était contenté jusqu’alors. — L’arrêté constitutif du 12 messidor an VIII charge une seule autorité de prendre les mesures propres à réprimer la mendicité. « Le préfet de police fera exécuter les lois sur la mendicité et le vagabondage ; en conséquence il pourra envoyer les mendians, vagabonds et gens sans aveu, aux maisons de détention, même à celles qui sont hors Paris, dans l’enceinte du département de la Seine. Dans ce dernier cas, les individus détenus par son ordre ne pourront être mis en liberté que d’après son autorisation. » L’agrandissement de la maison de répression de Saint-Denis, la création du dépôt de mendicité à Villers-Cotterets, les articles du code pénal déjà cités, complétèrent l’ensemble des dispositions à la fois préventives et répressives dont l’administration est armée pour refréner autant que possible un mal qui a été inguérissable jusqu’à présent, et qui semble inhérent à la nature humaine, car il a existé, il existe sous toutes les latitudes et dans toutes les civilisations.


II.

La mendicité est une profession, mais elle ne s’exerce pas seulement en tendant la main et en murmurant quelques paroles d’un ton plaintif ; elle a bien des formes sous lesquelles elle essaie de se dissimuler sans trop y parvenir. Elle ouvre les portières des voitures de place, elle vend des fleurs, des lacets, des allumettes et du papier ; elle crie au milieu des foules : « Voilà, messieurs, des cigares et du feu ; » sur les boulevards, aux Champs-Élysées, dans le jardin des Tuileries, elle ramasse les bouts de cigares rejetés par les fumeurs, les hache menu et les cède pour 1 franc la livre aux habitans des garnis mal famés ; elle vend des chapelets et offre l’eau