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tant on y a trouvé aussi de temps à autre des instrumens tranchans en pierre polie. Ceux-ci étaient nécessaires pour obtenir les sections lisses que présentent certains os, sections que n’eussent pu faire de simples éclats. Ces derniers auraient laissé des stries accusant l’irrégularité du tranchant. Il est vrai encore que la faune des kjœkkenmœddings et celle des dolmens présentent de grandes différences. La première n’offre d’autre animal domestique que le chien ; la seconde comprend en outre le bœuf, le cheval, la chèvre, le mouton, le porc. Mais est-on bien certain que les ossemens de ces nouvelles espèces, trouvés à l’intérieur des chambres funéraires, y aient été déposés en même temps que les restes humains ? L’observation prouve que très souvent divers carnassiers sauvages, surtout les renards, ont su pénétrer dans ces ossuaires, y établir leur terrier, et mêler à ce qu’ils renfermaient les os de leur proie journalière. Ces habitudes, s’exerçant pendant des siècles, peuvent fort bien expliquer le mélange présenté par les dolmens.

Si l’on repoussa la contemporanéité des deux populations, ajoute M. Steenstrup, comment expliquer le contraste que présentent les armes avec les animaux contre lesquels on avait à les employer ? Dans les kjœkkenmœddings, on ne rencontre que des éclats de silex petits et souvent presque informes. C’est avec ces armes, qui n’en sont pas, que l’homme aurait eu à tuer le cerf et le sanglier, à combattre l’urus ! Au contraire, au temps des dolmens, l’homme aurait été entouré d’espèces domestiques, et, pour égorger ces animaux qui n’offraient aucune résistance, il aurait employé de grandes lances merveilleusement taillées, des haches énormes parfaitement polies ! Ces faits n’indiquent-ils pas la nécessité de rapprocher les populations regardées par les archéologues comme distinctes et comme s’étant succédé ? N’est-il pas plus naturel de voir dans celles qui habitaient la côte des espèces de colonies qui abandonnaient sans peine, au milieu des restes de leurs repas, les objets improvisés à la hâte pour répondre aux besoins du moment, mais qui conservaient avec soin les instrumens dont la fabrication exigeait beaucoup de peine et de temps ? En tout cas, l’inégalité de développement industriel n’exclut nullement la contemporanéité. Si, par un cataclysme quelconque, les régions les plus civilisées de l’Europe venaient à être ensevelies, les archéologues future auraient à constater d’étranges différences selon que leurs fouilles porteraient sur les ruines d’une capitale ou sur celles de quelque hameau de nos montagnes, de nos landes, de nos régions marécageuses. Eux aussi, se fondant sur le témoignage matériel des objets recueillis, pourraient nier la contemporanéité des populations actuelles.