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outillant nos ports, en laissant à nos industries l’excitation salutaire de la liberté. Voilà la véritable et seule importance du passage du Saint-Gothard, qui d’ailleurs ne pourra être ouvert que dans neuf ans. Le chemin du Saint-Gothard offrira sans doute à l’activité commerciale de l’Allemagne des débouchés nouveaux et de nouveaux stimulans ; il ne hâtera pas d’une minute, au moins par un accroissement de puissance militaire, l’unité allemande, qu’on voit à travers tout. Cette unité, elle a bien assez à faire encore de lutter avec ses propres difficultés intérieures et ces difficultés mêlées de grandeur, nous ne l’ignorons pas, palliées souvent par un énergique patriotisme, mais enfin réelles, profondes, on peut les suivre en quelque sorte à la trace dans les intéressantes études que M. Émile de Laveleye vient de réunir sous le titre de la Prusse et l’Autriche depuis Sadowa, dans les beaux essais que M. V. Cherbuliez a rassemblés pour en faire son livre de l’Allemagne politique depuis la paix de Prague. C’est le même sujet traité par deux esprits différens, l’un économiste intelligent, historien exact, investigateur instruit des ressources des peuples, l’autre philosophe politique, observateur plein de vie, peintre habile des hommes et des caractères, — tous les deux, guides impartiaux et sûrs, se complétant mutuellement dans cette étude saisissante des dernières transformations de l’Allemagne. Ces pages de M. Cherbuliez, qui du premier coup, quand elles ont paru ici, ont eu un si brillant succès même auprès des Allemands, qu’elles faisaient quelque peu crier, ces pages ont tout le charme du récit, l’intérêt de l’analyse politique, la finesse de l’observation, la sûreté du trait, l’éclat de l’imagination. L’auteur, on le sent bien, sait ce qu’il dit ; il a vu ce qu’il raconte, et ce qu’il n’a pas vu, il l’a deviné ; il s’est entretenu avec les hommes, il a saisi les nuances de leur nature et pénétré leur secret. Cette Allemagne nouvelle, en marche depuis la paix de Prague, il l’a surprise dans son intimité, dans ses grandeurs ou dans ses incohérences ; il la décompose merveilleusement, sans cacher une vive et sérieuse sympathie pour cette grande nation germanique, mais aussi sans laisser altérer la justesse perçante de son coup d’œil à l’égard de ceux qui la représentent, rois, princes, diplomates ou ministres, et c’est ce qui donne au livre de M. Cherbuliez l’attrait de l’étude politique, du voyage et de l’analyse morale. C’est la description d’une destinée nationale qui se dégage, qui deviendra ce qu’on ne sait pas encore, et que le chemin de fer du Saint-Gothard ne fera pas dans tous les cas marcher plus vite. Qu’on se rassure, ce n’est pas là que nous pourrons avoir besoin d’aller arrêter la Prusse.

On a pu croire un instant que l’Espagne touchait à une crise décisive, mais c’était une fausse alerte. Le fait est qu’on aurait pu s’y tromper. Le président du conseil, le général Prim, convoquait par missive particulière tous les députés à Madrid, comme s’il se fût agi de quelque