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seuse et superbe, à qui le rire semble inconnu, il y a une indicible volupté à gravir la pente du Janicule, en respirant l’air libre et pur. Un peu au-dessus de Saint-Pierre, la fontaine Paolina, création du pape Borghèse, dégorge ses eaux abondantes qui tombent dans cette demi-solitude avec un bruit de cascade ou de torrent, et en face de la fontaine se découvre une des vues de Rome les plus propres à inspirer la rêverie. C’est là qu’il faut monter, si l’on veut savourer avec une mélancolie sans tristesse le sentiment du néant de la grandeur humaine, que j’ai trouvé partout ailleurs âpre et sombre. Oh! qu’il est doux de s’accouder sur la rampe de la colline, et là de se laisser assourdir par le tapage de l’eau Paolina, en contemplant les toits et les dômes de la célèbre ville! Eh quoi! ce n’est que cela Rome? On dirait un grand village perdu au milieu de la plaine et assiégé par la campagne, qui de toutes parts le presse et l’envahit. Pour compléter la rêverie, les seuls bruits qui vous arrivent sont des bruits de la nature : quelque rare murmure du vent dans les arbres, un hennissement de cheval, un braiment d’âne, et par instans, partant de la villa Pamphily, couronne de cette colline, des voix joyeuses de promeneurs ou des cris de serviteurs qui, transformés par la distance, semblent l’appel lointain de pâtres rassemblant leurs troupeaux. De l’énorme entassement de maisons et d’édifices d’en bas, aucun bruit ne monte (car Rome est une ville sans rumeurs), sauf ces bruits qui appartiennent aux localités rustiques, quelquefois un bourdonnement de cloches, et, chose curieuse, de temps à autre le clairon perçant du coq; au moins voilà tout ce que nous avons entendu pendant la demi-heure que nous avons passée sur le Janicule à regarder ce panorama. Cette vue de Rome est à peu de chose près celle que l’on a, non loin de là, de la terrasse de Saint-Onuphre ou de la fenêtre du Vatican qui s’ouvre en face de la bibliothèque; seulement ici, à Saint-Pierre-in-Montorio, le caractère rustique est plus fortement marqué : nous sommes loin du spectacle royal qui se découvre du haut du sauvage Aventin et du magnifique décor qui se déroule devant l’élégant Pincio.

Dans la cour du cloître de Saint-Pierre-in-Montorio, un petit temple rond s’élève à la place présumée du martyre du prince des apôtres. Il fut dessiné par Bramante. A Saint-Pierre, au Vatican, au palais Giraud de la place de Scossa-Cavalli, Bramante a montré avec quelle rare harmonie il sait unir la grandeur et la pureté ; dans ce ravissant bijou, il a montré l’alliance de la pureté et de la grâce. Comme le cercle qui marque la naissance de la petite coupole est à la fois élégant et fin, et comme la lumière rit de se voir emprisonnée dans cette geôle au dessin si correct! Comme l’édifice entier pose sur sa base de pierre avec légèreté! Mais cela est païen, bien