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heure le but de notre course. Une vaste tente où flottait le drapeau national, une enceinte marquée par de simples cordes et qu’entourait la population voisine, le faisait reconnaître de loin. La fouille était ouverte au pied d’une petit? colline à laquelle s’adosse le kjœkkenmœdding. M. Steenstrup l’avait préparée méthodiquement et de manière qu’on pût en bien voir la structure et la composition. Il aurait voulu donner à ce sujet quelques explications préliminaires; mais comment retenir cent cinquante paléontologistes et archéologues mis pour la première fois en présence d’un kjœkkenmœdding? Ils fondirent dessus comme sur une proie ; plus d’un, dans sa précipitation, roula le long des talus éboulés sous ses pieds, mais se releva plus ardent à la curée. Pioches, marteaux, grattoirs, couteaux, cannes, au besoin de simples clés, attaquèrent avec une ardeur fébrile la coupe savamment disposée, et qui, grâce à la mobilité des matériaux, présenta bientôt le plus parfait désordre. Pendant deux heures, on travailla ainsi des pieds et des mains, et ce labeur ne fut pas perdu. Pas un de nous ne revint les mains vides. Chacun avait fait sa trouvaille et montrait à ses voisins des silex rudement taillés en forme de haches, de couteaux, de grattoirs, de pointes de flèches, des ossemens de mammifères ou d’oiseaux, des vertèbres, des arêtes de poissons, etc. Le tout, soigneusement empaqueté, prit place dans les poches, dans les gibecières. Les plus zélés y joignirent même quelques kilogrammes de ces coquilles draguées et mangées par les plus anciens habitans de ces côtes.

Chargés de notre butin scientifique, nous regagnâmes le bateau. Les tables se trouvèrent chargées comme le matin et plus abondamment encore; elles furent fêtées à l’avenant, les conversations reprirent, chaleureuses et gaies. Tout souriait autour de nous. Un magnifique soleil d’automne lançait ses derniers rayons et donnait au paysage des aspects tout nouveaux; le fiord était uni comme une glace. Animés par l’exercice, par la joie du savoir acquis et des trouvailles faites, un peu aussi par les vins généreux de nos hôtes, nous nous sentions tous transformés. C’était une de ces heures trop rares où les années semblent disparaître, où, malgré les cheveux gris et la barbe blanche, on se sent jeune d’esprit et de cœur. Puis le crépuscule vint avec ses teintes de plus en plus foncées, qui peu à peu confondirent les objets et rétrécirent l’horizon. À ce moment, une douzaine de nos collègues danois, montés sur la dunette, entonnèrent leurs chants nationaux. Bercés par ces refrains tour à tour mâles ou gais, nous atteignîmes la jetée de Rœskilde, où nous attendait une foule aussi pressée, aussi accueillante que le matin. Là encore le capitaine Wilde prit la tête et nous conduisit à la cathédrale, dont les portes s’ouvrirent pour nous montrer la vaste nef