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plus décisifs de notre époque ; mais avec de bonnes mesures la victoire y est assurée à la cause de l’ordre et de la liberté. En l’absence de ces fonds de secours, les corporations ouvrières vivent d’expédiens. Les unes s’adonnent au commerce et s’efforcent d’amasser quelques profits en supprimant quelques intermédiaires. La plupart s’adressent simplement à la charité. Nous avons plus d’une fois, à la sortie des réunions de Belleville, rencontré sur le pas de la porte deux femmes avec des bourses, réclamant l’assistance pour les ouvriers de Bâle, alors en coalition. Chacun déposait son obole ; mais ce qui tombait ainsi entre les mains de ces chanoinesses du socialisme était un bien mince tribut pour suffire aux frais d’une grève.

Le nerf de la guerre fait donc défaut aux corporations ouvrières françaises ; il faudra bien des années pour qu’elles puissent amasser un trésor, si même elles y ré assissent jamais. Quoi qu’il en soit, nous sommes à présent, au point de vue industriel comme au point de vue politique, à l’état de paix armée. Le silence et le repos qui nous entourent sont précaires. De toutes parts, l’on fait et l’on annonce des armemens et des plans de campagne ; les Allemands ont un mot qui peint admirablement les relations de nos ouvriers et de nos industriels : c’est la kriegsbereitschaft, la mise sur pied de guerre, la préparation à l’attaque et à la défense. Que résulte-t-il de tous ces efforts ? Une assez grande somme d’inquiétudes, de défiances et de mauvais procédés réciproques. Quant aux craintes sérieuses, la vraie sagesse et l’expérience les éloignent de tous les esprits judicieux. Dût l’Internationale changer sa misère en opulence, ses vastes projets sont marqués au coin de l’utopie et destinés à un humiliant échec. Au début de ce siècle, un grand homme de guerre, armé de la plus excessive concentration de pouvoirs qui se soit jamais rencontrée dans des mains humaines, conçut le plan audacieux de réduire à merci la nation la plus commerçante en lui fermant tous les marchés du monde. On sait ce que devint le fameux blocus continental, qui paraissait une conception de génie. Il en sera de même de ce blocus du capital, que l’Association internationale des travailleurs prétend établir. L’on ne parviendra pas à le rendre complètement effectif, et toute cette machine de guerre craquant sur un point restera sans résultat.

Ce n’est pas par de tels moyens que l’on obtiendra la hausse des salaires. Nul plus que nous ne la désire ; mais nous la voulons durable et effective. Or, pour y arriver, il n’est qu’une seule voie : l’augmentation de la production, l’accroissement de l’efficacité du travail de l’ouvrier. Hors de ces conditions, tout est mirage et déception. Par la volonté et l’intelligence, par une organisation chaque jour