Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
949
LA QUESTION OUVRIÈRE.

entre les différens corps d’état pour soutenir les grèves ont été jusqu’ici en France complètement infructueux. L’on a vu en 1869 les ouvriers en métaux de Givors adresser des demandes de subsides aux ouvriers des forges et fonderies de Saint-Etienne, ainsi qu’aux ouvriers de Vialas et de Voulte. Les ouvriers en instrumens de chirurgie, dans leur récente coalition, prétendaient pouvoir disposer de 50 000 francs, quoique leurs deniers personnels n’allassent pas au-delà de 1 500 francs. Les mégissiers, en décembre 1869, ont obtenu de la fédération ouvrière parisienne un capital de 13 500 fr. L’on sait que les tailleurs de Paris, il y a trois ans, reçurent une dizaine de mille francs de leurs confrères de Londres. Les bronziers en 1867 obtinrent des ouvriers d’Angleterre un subside de 20 000 fr. Une subvention de 12 000 francs a été envoyée de Paris aux ouvriers de Genève ; mais qu’est-ce que ces sommes pour soutenir la coalition de tout un corps d’état ? Il faudrait un trésor bien autrement alimenté pour exercer une action perceptible sur le combat entre le capital et le travail. Peut-on croire que dans l’avenir les corporations françaises réussiront à trouver de plus abondantes ressources ? Ce leur sera toujours très difficile. Ce qui fait la force des trade’s unions, c’est qu’elles sont presque toutes des sociétés de secours en même temps que des machines de guerre. Elles prélèvent sur leurs membres des cotisations de 1 franc 25 cent, par semaine, quelquefois davantage, en échange d’assistance et d’assurance dans des cas déterminés. Aussi ont-elles à leur disposition un encaisse considérable, qu’elles peuvent employer occasionnellement en frais de grèves. Une pareille organisation n’était possible qu’au début de ce siècle, alors que les associations de secours mutuels prenaient naissance. Les trade’s unions ont accaparé ce service, et l’on ne peut le leur enlever. En France au contraire, les sociétés de secours mutuels existent partout aujourd’hui, sous la direction tantôt des municipalités, tantôt des chefs d’industrie. Par suite de l’adjonction de membres honoraires, qui versent sans rien recevoir, les cotisations demandées à l’ouvrier sont très réduites. Il en résulte que les corporations ouvrières formées en vue des grèves n’ont rien à attendre de ce côté. Elles ne peuvent demander au travailleur un sacrifice considérable et permanent pour une lutte éventuelle et lointaine ; elles sont incapables de faire concurrence aux institutions déjà vieilles et richement subventionnées. Elles peuvent, il est vrai, essayer de s’emparer par un coup de main des caisses de sociétés de secours existantes ; mais il est facile à la loi d’empêcher cet abus. On doit prévoir que, par suite des convoitises naturelles des grévistes, la question des sociétés de secours mutuels deviendra dans peu de temps l’un des champs de bataille les plus disputés et les