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il entrave l’instruction professionnelle par ses règlemens sur l’apprentissage, décourage le zèle de l’ouvrier, arrête et punit comme un crime la noble ambition de s’élever. N’est-ce pas lui qui, lors de la discussion de la réforme électorale, émettait ce principe, que les ouvriers économes sont des égoïstes qui ne méritent pas d’être électeurs ? À un point de vue plus général, il dégrade l’homme, l’asservit, lui ôte l’initiative et jusqu’à la liberté naturelle de penser et de se conduire. C’est un joug écrasant qui anéantit la personne humaine. De même que les membres d’une société célèbre, l’ouvrier unioniste est instruit avant tout à l’obéissance ; il doit se soumettre ut cadacer. Les mêmes hommes qui n’ont pas assez de critiques, et nous ne saurions les en blâmer, contre la centralisation administrative regardent comme une école bienfaisante pour l’ouvrier d’être noyé dans une de ces vastes agrégations, asiles de tous les despotismes. D’ailleurs on ne peut considérer l’unionisme sans le cortège de désordres qui le suit. Ainsi que toutes les mauvaises plantes, il porte partout avec lui des parasites nuisibles. En dehors des cadres des unions, il y a des agitateurs de profession, des entrepreneurs de grèves, qui jouent un grand rôle en Angleterre. Ce sont des aventuriers qui lèvent des corps francs, servent toutes les causes moyennant finances, et qui, au mieux de leurs intérêts personnels, tantôt poussent les ouvriers à se mettre en chômage, tantôt se font payer par les patrons pour les engager à rentrer dans les usines. Cette déplorable industrie gagne du terrain, et, nous dit M. Thornton, on ne manque jamais de la rencontrer partout où l’unionisme fleurit.

Il ne suffit pas de constater le mal social, il faut encore indiquer ou tout au moins chercher le remède, — tâche difficile, poursuite ingrate. — Les commissaires de l’enquête anglaise y ont donné tous leurs soins, ils ne sont pas parvenus à satisfaire l’attente de l’opinion publique ; on les a accusés d’irrésolution, on leur a reproché des compromis et des demi-mesures. Nous ne saurions nous montrer sévère pour cette hésitation légitime dont se sentent saisis les esprits les plus décidés en face de l’intensité de la crise et de l’insuffisance des palliatifs. Il n’est pas plus aisé de faire cesser l’état de guerre industriel que de mettre fin à l’état de guerre politique. En pareille matière, les solutions et les projets sont d’une conception commode et d’une application le plus souvent impossible : ils valent en pratique les rêves de paix perpétuelle formés au dernier siècle par l’abbé de Saint-Pierre ; mais, si l’on ne peut espérer expulser immédiatement et à tout jamais ce fléau des grèves et des luttes entre ouvriers et patrons, il est des adoucissemens dans le droit des gens, des acheminemens à une pacification définitive qu’on peut sans utopie découvrir, et qui n’exposent à aucune déception.