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sures arbitraires prises par les unions dans l’industrie du bâtiment renchérissaient de 35 pour 100 dans certaines localités, et spécialement à Manchester, le prix de revient d’une maison, et que le loyer de l’ouvrier, qui est en moyenne de 4 shillings par semaine, pourrait tomber à 3 shillings, si ces règlemens arbitraires n’existaient pas. Ainsi un renchérissement général du prix des choses sans une augmentation réelle des salaires, tel est le précieux résultat qu’ont amené tant d’ingénieuses combinaisons. Ajoutons que les plus éminens industriels se trouvent découragés et rejetés avant le temps en dehors des affaires. Des Trollope, des Nasmyth, les hommes les plus éclairés et qui faisaient foire le plus de progrès à leurs arts, déclarent se retirer dix ans plus tôt qu’ils n’en auraient eu l’intention. Le capital émigré et va chercher dans les pays étrangers une destinée moins agitée ; les commandes continentales désapprennent la route de l’Angleterre et s’adressent à la France, à la Belgique ou à l’Allemagne du nord. Le trouble apporté dans les relations commerciales, l’incertitude dans les livraisons, écartent les consommateurs étrangers. Si l’industrie des machines a pris en France, depuis dix ans, un si grand essor, ce n’est pas seulement aux acquits à caution qu’elle le doit, c’est surtout à l’appui indirect que lui prêtaient les trade’s unions anglaises, à la prime qui résultait en sa faveur de l’état de chômage ou de désorganisation des grandes usines britanniques. Voilà ce que les faits établissent. Il est faux de dire que les salaires sont plus élevés pour les ouvriers unionistes que pour les non-unionistes ; cela ne pourrait être exact que pour les localités où les membres des unions, étant en très grand nombre, refusent de travailler avec les autres ouvriers, et rejettent par conséquent ceux-ci en dehors des ateliers, les réduisant à l’état de parias. Il y a des unions parmi les fileurs, il n’y en a pas parmi les tisseuses, et les salaires de ces dernières n’ont pas suivi une moindre progression que ceux des premiers. Il y a telles usines métallurgiques à Wolverhampton où, de 1831 à 1860, la rémunération de la main-d’œuvre semble être restée stationnaire ; il en est de même pour les briquetiers de certaines villes, comme Newcastle. Au contraire les journaliers agricoles, qui continuent à traiter isolément avec ceux qui les emploient, ont vu le prix de leur travail s’élever de 25 pour 100. M. Stirling nous fait remarquer que la même hausse s’est produite dans la solde des volontaires pour l’armée, quoiqu’il n’y ait aucune coalition possible entre les malheureux qui traitent avec le sergent recruteur. Enfin les gages des domestiques ont éprouvé le même mouvement ascensionnel, et la plus abandonnée des servantes à tout faire a vu hausser son salaire d’une manière plus rapide que le plus intraitable des ouvriers mécaniciens.

Comment d’ailleurs l’unionisme pourrait-il avoir une efficacité ?