Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
939
LA QUESTION OUVRIÈRE.

rielle des ouvriers unionistes s’est-elle élevée en proportion de leurs sacrifices ? Y a-t-il eu une hausse notable des salaires par suite de ces coalitions et de toutes ces mesures artificielles ? La réponse est des plus difficiles. Il est hors de doute que la rétribution de l’ouvrier s’est accrue ; les partisans des trade’s unions s’emparent de ce fait pour conclure à l’efficacité de leur système. C’est là cependant une conclusion précipitée et peu conforme aux règles de la saine logique. C’est une des plus belles harmonies de notre état social que la situation des travailleurs, même les plus infimes, ait une tendance à devenir meilleure à mesure que les moyens de production, les découvertes scientifiques, l’instruction générale, se perfectionnent. Tous les pays civilisés confirment l’existence et la permanence de cette loi providentielle. Il est incontestable que depuis trente ans, dans toutes les contrées, dans toutes les professions, les salaires ont notablement augmenté. Les unions ouvrières ont-elles contribué à ce mouvement ? Nous ne le pensons pas ; un examen attentif des faits semble démontrer le contraire. Il est possible que certaines grandes unions aient pu faire monter momentanément et surtout nominalement la rétribution de l’ouvrier au-delà du taux où l’aurait portée le cours naturel des choses ; mais il ne faut pas être dupe de ce mirage. Qu’est-il arrivé, par exemple, pour les constructeurs de vaisseaux de la Tamise ? Leur salaire a été poussé à 7 shillings à force de coalitions ; mais l’industrie de la construction a déserté presque immédiatement une contrée inhospitalière, la plupart des maisons se sont fermées, et celles qui restent ouvertes n’emploient plus que le dixième des bras qu’elles occupaient autrefois. Un grand nombre de forges du nord de l’Angleterre se sont affaissées également sous la pression des exigences intempestives et malavisées des ouvriers. Les lieux où l’industrie est le plus prospère, c’est-à-dire où la condition du travailleur est le mieux assurée, sont précisément ceux où les unions n’ont pas pénétré ou bien ont été vaincues : telles sont les rives de la Clyde pour la construction des navires. Il résulte de la déposition de M. Clarck, directeur des grandes forges de Merthyr-Tydvil, qui emploient 9,000 ouvriers, que les salaires n’ont cessé de monter dans cette exploitation, bien qu’aucune union n’y existât. « Je ne crois pas, dit M. Robinson, ingénieur des ateliers de construction de l’Atlas à Manchester, que tout ensemble ces unions aient beaucoup fait accroître les salaires dans leurs industries respectives ; mais je suis intimement convaincu que leur tendance est de diminuer la somme de travail obtenue pour un certain salaire, et par conséquent d’accroître matériellement le coût de production. » C’est à cette opinion qu’il faut s’en tenir. Sans profiter à l’ouvrier, l’unionisme a nui aux patrons, aux consommateurs, en un mot à tout le monde. On a calculé que les me-