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et de développemens lyriques. Ces vastes sociétés, dont quelques-unes comptent jusqu’à 50,000 adhérens, frappent de respect, si ce n’est de stupeur, ceux qui s’approchent d’elles pour les étudier. Ce n’est pas que toutes soient exemptes de défauts graves qui sautent dès l’abord aux yeux. Il en est, comme la corporation des mineurs, la plus importante de toutes par le nombre, qui se montrent parfois dans la pratique aussi turbulentes et aussi anarchiques que les plus petites unions locales. Elles ont des délégués payés, qui sont des agitateurs à gages. Un ouvrier, qui déposait devant la commission d’enquête, dépeignait admirablement l’éloquence et l’action de l’un de ces délégués, « Il excitait les ouvriers à un très haut degré, mais souvent sans se rendre compte de l’effet de ses paroles ; c’était du reste un orateur très puissant, qui avait une très puissante voix et qui faisait beaucoup de bruit. — Comme un tambour ? » reprit M. Rœbuck, l’un des plus éminens membres de la commission. Un fracas confus de paroles qui entraînent les masses ouvrières à la bataille, c’est souvent là toute la philosophie et toute la politique des fonctionnaires unionistes. Il ne faut cependant pas calomnier par des assimilations inexactes les corporations modèles, comme celles des mécaniciens ou des charpentiers fusionnés. Là se rencontre un appareil complet d’institutions sagement pondérées.

L’union des charpentiers fusionnés (amalgamated carpenters) n’a guère que 8,000 membres répartis en 190 branches ou loges : c’est peu pour une association nationale de premier ordre ; mais elle rachète son infériorité numérique par sa bonne organisation intérieure. Une loge ne peut compter moins de 7 membres, ni plus de 300. Chaque loge est d’ailleurs un corps complet, ayant ses fonctionnaires propres, élus généralement tous les trois mois, sauf le trésorier, le secrétaire et le rapporteur, qui restent une année en charge : elle recueille, garde et dépense ses propres revenus ; elle jouit ainsi du self-government. Les dignitaires sont élus dans des assemblées auxquelles chaque membre doit assister sous peine d’amende. Il y a, toutes les fois que les circonstances le requièrent, des réunions du comité pour l’expédition des affaires courantes ; tous les quinze jours, la loge entière est convoquée en assemblée générale ordinaire pour contrôler, approuver, réformer les décisions des fonctionnaires et régler l’emploi des fonds. Le pouvoir central de la société est conféré à un conseil général, composé de 1 président et de 16 membres, dont 6 sont élus par les loges de Londres et les autres par les loges provinciales. Ce conseil est renouvelable par moitié tous les six mois. Comme les membres provinciaux n’auraient guère le temps ni les moyens d’assister à de fréquentes réunions dans la métropole, le maniement des affaires est abandonné