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dura sept ans, puis un beau jour on se revit comme si l’on s’était quitté la veille, et les choses alors s’établirent d’elles-mêmes sur le pied où Goethe les avait voulues à son retour d’Italie. Seulement à cette époque c’était trop tôt; il y a de ces tableaux de mœurs qui ne sont à leur point que lorsque le temps a mis dessus sa patine. Celui-ci, par exemple, pour être vu tout à son avantage, a besoin que vous l’observiez au demi-jour de cette période.

Entre cette personne d’esprit vieillissante et ce grand homme, tout jeunesse et tout flamme en son apaisement, une intimité nouvelle se forma au-dessus des orages de la vie. Plus de contradictions, de malentendus possibles, on se voit à toute heure, d’une maison à l’autre, les billets vont et viennent; on continue à vivre à deux, mais après s’être chacun de son côté reconquis. Goethe n’avait jamais trompé Mme de Stein, son tort fut au contraire de n’avoir pas craint de l’entretenir de ses aventures galantes à un moment où la coquetterie était chez elle encore à l’état aigu. Coquette, elle le fut jusque dans la mort; mais sa nature avait eu aussi sa crise de transformation. Sur ce terrain tout aplani où l’on se retrouvait, les choses du cœur et de l’intelligence devaient seules prévaloir. On s’installa donc pour ne le plus quitter dans le fauteuil de Julie d’Angennes, oubliant la Julie de Rousseau, entrevue un moment en rêve, et la Célimène allemande en vint tout naturellement à se dire comme Mlle de Lespinasse : « Que m’importe que mon amant me trompe si je l’aime? » N’essayons pas de nombrer les hommes dont une femme ne conserve la fidélité qu’à ce prix, la liste en serait trop longue. Goethe ne pouvait s’attacher que dans ces conditions; la femme à laquelle il appartenait momentanément n’était là que pour lui faire en quelque sorte mieux goûter les autres femmes, et pour recevoir ses confidences à leur sujet. Si Mme de Stein le garda jusqu’à la fin, elle dut son long règne à l’exquise souplesse qu’elle mit, je ne dirai pas seulement à prendre en patience une situation qu’il n’y avait point à gouverner, mais à s’y intéresser de cœur et d’esprit. Elle eut des condescendances de grande dame et même des sympathies pour toutes les héroïnes de la légende, elle tendit de la meilleure grâce sa belle main à Bettina d’Arnim, à Christiane Neumann, sourit de son plus doux sourire à cette adorable enfant qui s’appelait Ul-