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Mme DE STEIN
ET GOETHE


I.

Le voyage en Italie est dans l’histoire de Goethe une des périodes qui marquent le plus; cette ardente aspiration d’enfance exprimée dans ses premiers vers, ce rêve continu de l’homme et de l’artiste n’a dû peut-être son accomplissement qu’à tel de ces romanesques épisodes qu’il vivait, ou plutôt qu’il se guindait à vivre, afin de mieux les raconter ensuite. Personne moins que Goethe ne sut jamais prendre librement un parti; il n’arrivait à son propre desideratum que par un effort extraordinaire sur lui-même. A mesure qu’il avance dans la vie, cette action des hommes et des circonstances ne fait que le dominer davantage. A Weimar, les emplois publics, les charges de cour, l’amitié du prince, ne le laissent plus respirer; les complications enguirlandent ses heures, il va de succès en succès, plane aux plus hautes sphères; son influence s’étend partout. Sa fortune lui permettrait déjà de s’appartenir à lui-même, de s’échapper au pays où sa vocation l’appelle; pourquoi ne le fait-il pas? pourquoi reste-t-il? L’amour d’une grande dame, souverainement belle et intelligente, le retient, le captive. Attendons que les conflits éclatent, que les libres engagemens soient devenus des chaînes, que le grand-duc ait découragé ses vrais amis en renonçant aux principes de gouvernement reconnus d’abord par lui comme lys seuls praticables. — Goethe ne demandait qu’à fuir, qu’à s’en aller. L’Italie, inondée de soleil, l’attirait plus que jamais, comme une île d’enchantement et de salut. Lorsqu’on l’automne de 1786, se trouvant à Carlsbad avec Charles-Auguste, il décampa tout à coup, et par la Bavière et le Tyrol gagna Venise sans avoir averti personne, sa nature depuis longtemps le poussait hors de Weimar; mais, selon