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Des trois demandes formulées en France par les autorités ecclésiastiques, notamment dans les pétitions adressées à la commission par le clergé du nord-est, les deux premières ne peuvent être repoussées sans porter atteinte à la liberté et sans nuire aux progrès de la science. Il faut premièrement accorder à tous sans restriction le droit d’enseigner; les mesures préventives sont toujours éludées et ne sont point nécessaires. Secondement, pour que la concurrence puisse introduire la variété et le progrès dans les méthodes et dans les principes de l’enseignement supérieur, il est nécessaire de permettre aux facultés libres de délivrer des diplômes scientifiques, sauf à imposer un examen professionnel avant d’ouvrir aux gradués l’entrée de certaines fonctions spéciales; mais il faut rejeter inexorablement le troisième point, la personnification civile réclamée en faveur des universités privées. Si la liberté est de droit commun pour tous, la faculté de fonder une personne civile, capable d’acquérir par voie d’achat, de legs et de donation, est au contraire une exception au droit commun, un privilège, et le pouvoir législatif peut l’accorder, s’il le juge utile à la nation, le refuser s’il le juge dangereux. Or ici le danger est réel et grand. Les corporations ecclésiastiques seraient douées d’une puissance d’acquisition dont il est impossible de prévoir les limites. Par la confession, plus encore par l’influence exercée sur les fidèles aux approches de la mort, le clergé peut obtenir des donations et des legs chaque jour et de tous, des pauvres non moins que des riches. Dans tous les pays, les souverains, même les plus pieux, n’ont cessé de promulguer édits sur édits pour arrêter l’accroissement continuel des biens de ce que l’on appelait les gens de mainmorte. Accordez la personnification civile, supprimez ces entraves, et avant un siècle l’église sera dix fois plus riche et plus forte qu’avant la grande révolution, car elle s’est donné un grand but à atteindre, la conquête du monde au profit des idées romaines, et elle est bien mieux organisée pour la lutte qu’autrefois. En Belgique, presque chaque commune a son couvent-école[1]. Que cette école puisse acquérir, et bientôt elle sera propriétaire de tout, car elle recevra sans cesse et ne vendra ni ne partagera jamais. La terre n’en serait peut-être pas plus mal cultivée, car les corporations sauraient la louer aussi bien que les propriétaires actuels; mais le mal fait à la société serait incalculable. Que devien-

  1. On estime qu’il en existe près de 1,500. L’augmentation du nombre des couvens est en voie d’alarmer tous les états, même l’Angleterre, Le parlement, sur la proposition de M. Newdegate, vient d’ordonner une enquête à ce sujet. D’après le Times, eN 1830 il n’y avait en Angleterre que 11 couvens; on y compte aujourd’hui 69 monastères et 223 couvens de femmes. En Prusse il existe maintenant 14 couvens de jésuites et 833 autres couvens peuplés de 7,000 religieux des deux sexes. En France en 1864, les congrégations d’hommes comptaient 17,800 membres et celles de femmes 90,350. A Paris, les écoles primaires laïques ont 32,996 élèves, les écoles congréganistes 38,890.