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idées ultramontaines, il faut à tout prix constituer des universités publiques, pour lesquelles on fasse au moins ce que font pour les leurs les plus petits états de l’Allemagne. Il est probable qu’en France l’organisation de l’instruction supérieure devra être notablement fortifiée[1]. A Paris, l’état pourra facilement soutenir la lutte; mais supposez qu’en province, à Lyon, à Bordeaux, à Lille, il s’établisse des universités catholiques soutenues par les municipalités, à qui elles apporteraient des avantages matériels non moins qu’intellectuels, appuyées par la propagande active de tout le clergé et organisées d’une façon complète en corporation enseignante, comme celle de Louvain, est-il probable que les facultés officielles, isolées et peu encouragées comme elles le sont maintenant, puissent résister à la concurrence qui leur sera faite, à la guerre qui leur sera déclarée? L’énorme terrain que le clergé a gagné en moins de vingt ans dans le domaine de l’instruction primaire et moyenne donne la mesure des conquêtes qu’il fera dans celui de l’instruction supérieure. Ce n’est certes pas le parti opposé aux idées ultramontaines qui pourra lutter, sauf encore à Paris. Il est trop divisé en nuances diverses, trop peu habitué à la discipline et à des efforts persévérans, pour résister à un adversaire qui tient le cœur des mères, et qui pratique la vertu militaire de l’obéissance passive. L’état seul sera de force à faire équilibre à l’épiscopat. Il faudra que le gouvernement ne recule point devant les sacrifices et les réformes indispensables. Sinon, partout en province, le clergé parviendra, après un certain temps, à s’assurer un véritable monopole.

  1. Dans un livre récent et des plus instructifs, M. Hillebrand a parfaitement montré le déplorable contraste que présente l’enseignement supérieur de la France comparé à celui de l’Allemagne. Citons seulement un détail financier. Tandis qu’une université allemande coûte en moyenne un demi-million par an, la France seule, parmi les états civilisés, s’est fait un revenu des frais d’inscription que paient les étudians. En 1863, les neuf facultés de droit ont rapporté 1 million 200,000 francs, elles n’en ont coûté que 870,000. En Belgique, les deux universités de l’état coûtent environ 900,000 francs par an, ce qui équivaut au prix d’entretien des universités allemandes, et elles ne rapportent rien, attendu que les inscriptions sont abandonnées aux professeurs. Chaque université compte ordinairement trente-huit professeurs; leur traitement fixe va de 5,000 à 10,000 francs, et ils le conservent intégralement quand ils obtiennent « l’éméritat. » Les inscriptions ont produit en 1867 à Gand 47,108 fr., à Liège 79,715 fr. L’inscription générale aux cours est de 200 ou de 250 francs. Le produit des inscriptions se partage dans chaque faculté d’après le nombre d’heures que chaque cours comporte. En y ajoutant le produit des examens, quelques professeurs arrivent à un revenu total de 15,000 fr. On serait mal venu en Europe à montrer de la parcimonie pour l’enseignement supérieur quand on voit les sacrifices que s’imposent pour cet objet des sociétés naissantes. Otage dans la Nouvelle-Zélande, une ville dont les maisons sont encore construites en bois, vient d’ériger une chaire de littérature ancienne et une autre de littérature moderne avec des traitemens de 600 liv. sterl., non compris le produit des inscriptions. Le vice-roi d’Egypte a créé une chaire d’antiquités égyptiennes avec un traitement de 35,000 fr,