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adopte le programme, les méthodes, les idées qui lui paraissent les meilleures, et ensuite le public juge l’arbre d’après ses fruits. Il y a réellement concurrence, comme dans les autres branches de l’activité humaine. Tant pis pour ceux qui enseignent mal. Leurs élèves échoueront devant le jury professionnel ou dans leur carrière, et dès lors ils verront leurs institutions désertées languir et succomber. Les professeurs et les étudians, n’ayant plus à s’occuper de ces examens multipliés à passer chaque année devant le jury, pourront s’adonner librement aux véritables études scientifiques. Dans les facultés, le professeur interrogera ses élèves, parce que pour les études théoriques ce sont là les seuls interrogatoires sérieux; il cessera d’être un « préparateur d’examen » et le répétiteur des examinateurs officiels. Les leçons deviendront l’objet principal, les examens la chose secondaire; ce n’est qu’à cette condition que le haut enseignement remplit sa mission. La liberté des doctrines sera complète en toute matière; chaque université exposera les s’ennes. Pour délivrer le brevet professionnel, le jury final ne s’inquiétera que de l’aptitude pratique, non des méthodes ou des théories qui ont permis de l’acquérir. Une vie nouvelle pénétrera l’instruction supérieure. Aujourd’hui l’étudiant en général ne pense qu’à une chose : entasser dans sa tête le plus vite possible tous les faits, tous les détails qu’on peut lui demander. Il n’exerce guère que ses doigts quand il prend des notes, et sa mémoire quand il s’efforce de les apprendre par cœur. Sans contredit, cela développe moins l’intelligence que ne le fait l’instruction primaire ou secondaire. L’enseignement affranchi redeviendra vivant, et les élèves, délivrés du cauchemar de l’examen officiel de chaque année, pourront s’initier à la science sous la conduite des maîtres qu’ils croiront les meilleurs.

Mais, dira-t-on, cette liberté absolue, proclamée à une époque où la poursuite des plaisirs frivoles entraîne les uns, et la poursuite des biens matériels les autres, n’aura-t-elle pas pour effet d’abaisser le niveau des études universitaires? Il ne suffit pas à un pays d’avoir des médecins et des avocats qui ne tuent ou ne ruinent pis habituellement leurs cliens; il faut des hommes d’une instruction supérieure, qui fassent faire des progrès à la jurisprudence et à l’art de guérir. — Sans doute; mais qui les formera le mieux, les universités dirigées librement par leur conseil académique et stimulées par la concurrence, ou les facultés réglementées, soumises à la loi étroite d’un programme uniforme et entravées par les exigences sans cesse renouvelées des examens officiels? L’expérience a prononcé sur ce point. C’est en Allemagne, où le système de l’examen professionnel (staats-examen) est appliqué, que les universités ont le plus contribué au progrès de la science, et ont le plus répandu le goût des fortes études. En Belgique comme en France, la profession d’ingé-