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de la pharmacie, et pour le notariat, qui est une fonction publique. L’ignorance en médecine peut causer un mal irréparable ; une erreur tue. Le malade ne peut juger ni du médicament qu’on lui donne ni des effets qu’il produit. Si son médecin l’a empoisonné, il n’est plus temps d’en changer. Pour le diplôme d’avocat, les mêmes raisons n’existent pas. Le client peut apprécier si son conseil le comprend; qu’il aille à l’audience, il entendra si l’avocat plaide bien. Perd-il son procès en première instance, il peut s’adresser à un autre pour l’appel; point de mal irréparable. D’ailleurs, même si l’on abolit le diplôme obligatoire, les plaideurs continueront à s’adresser aux diplômés volontaires, et ils choisiront de préférence ceux qui ont passé leurs examens devant les universités les plus célèbres. En Belgique, devant les tribunaux de commerce, plaidait qui voulait, et pourtant, dans un port comme Anvers, des intérêts énormes sont en jeu. Les plaideurs ont-ils profité de la faculté que leur laissait la loi? Nullement; ils ont toujours employé des avocats, et les meilleurs. Dans aucune autre profession, la réputation acquise n’exerce autant d’attraction. Tout le monde s’adresse aux avocats en renom, quoiqu’ils se fassent payer cher, et que le temps leur manque pour bien étudier tous les dossiers. Les jeunes avocats ne trouvent guère de clientèle; donc ceux qui n’auraient pas même ce titre seraient tout à fait délaissés.

Aux agens de change, on confie des millions sans qu’ils donnent de reçu; ils disposent de vingt fois plus de valeurs que les avocats, et ils en disposent sans qu’aucun contrôle soit possible. Néanmoins, en Belgique, cette profession a été déclarée complètement libre, sans nulle garantie, et personne ne réclame le rétablissement des anciens privilèges. Dans les mines, dans les usines, sur les chemins de fer, l’ingénieur tient dans ses mains la vie d’un grand nombre de personnes; cependant c’est encore une profession libre. Ainsi donc, sauf pour la médecine, liberté des professions comme conséquence logique de la liberté du travail, telle me paraît devoir être la solution en ce point. Les facultés continueraient à délivrer des diplômes après examen, l’état cesserait d’en exiger. Les avocats se constitueraient en confréries, dont ils régleraient les conditions d’admission et d’expulsion. Le public ne manquerait pas de s’adresser à celles qui auraient su acquérir une réputation de science et d’honnêteté. L’habitude nous cache ce qu’il y a d’absurde à voir l’état nous fournir des avocats brevetés avec garantie du gouvernement. C’est évidemment un reste de l’institution gothique des corporations. Si l’état croit devoir empêcher les citoyens de s’adresser à un conseil ignorant, pourquoi permet-il aux jeunes gens de vingt et un ans de manger leur fortune, quand ils en disposent avant d’avoir acquis la sagesse nécessaire pour en faire bon usage? Bien