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secrètement à la porte et que cette porte ne s’est point ouverte, qu’en 1867 M. Matthy, le prédécesseur de M. Jolly, a mis en quelque sorte M. de Bismarck en demeure, et que M. de Bismarck n’a pas même daigné répondre, estimant que l’annexion isolée de Baden lui procurerait peu d’avantages et de grands embarras. Ils soutiennent encore que cette convention, récemment passée, par laquelle les Badois ont acquis le droit de faire leur service militaire en Prusse, loin d’avoir été désirée à Berlin, y fut d’abord repoussée, et que le cabinet prussien ne céda que malgré lui à d’opiniâtres obsessions, dont il ne se pouvait délivrer. Ceux qui pensent ainsi ne voient dans les agissemens de la cour de Carlsruhe que les conséquences naturelles de relations de famille, et ils expliquent tout par une politique de sentiment[1]. Ils allèguent que ce que femme veut, Dieu et les ministères le veulent aussi, et qu’une princesse charmante, spirituelle et d’une rare intelligence prend bien de l’ascendant sur tout ce qui l’entoure. Il faut convenir en effet qu’il y a dans la politique badoise je ne sais quoi d’agité, de nerveux et de passionné qui donne beaucoup à penser. Quand on palpe et qu’on ausculte cette politique, on croit sentir le battement fébrile et précipité d’un cœur de femme.

Que l’esprit de famille exerce quelque influence sur la conduite des affaires, cela s’est vu trop souvent pour qu’on s’en étonne, et de tels mobiles sont trop respectables pour qu’on les discute ; mais on ne saurait admettre que dans les affaires badoises tout s’explique par une politique de sentiment : — à la raison de famille se joint la raison d’état. S’il est naturel que le gouvernement grand-ducal désire l’accession de Baden à la confédération du nord, il reste à expliquer pourquoi, en dépit des froideurs de Berlin, il poursuit l’accomplissement de son désir avec de fiévreuses impatiences qui embarrassent tout le monde, comme s’il y avait péril en la demeure, et qu’il sentît la terre lui manquer sous les pieds. Est-ce à dire que, limitrophe de la France, il se sente plus exposé, qu’il tremble chaque soir de voir le lendemain à son réveil un régiment français entrant dans Carlsruhe enseignes déployées ? A supposer qu’il fût en proie à des craintes aussi chimériques, ne peut-il s’endormir en paix sur cet oreiller qui s’appelle le traité d’alliance, lequel, en pareille occurrence, serait valable et très valable ? Qu’ajouterait donc à sa sécurité son adjonction politique à la Prusse ? Non, ce n’est pas la France qui excite ses alarmes ; c’est la question intérieure, ce sont les embarras du dedans.

La maison de Zæhringen a traversé, en 1849, des crises et des orages qui ne se sont point effacés de son souvenir. La révolution

  1. Le grand-duc de Baden a épousé en 1856 la princesse Louise, fille du roi Guillaume.