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pondent à un besoin élevé, général du pays, et qui ne peuvent vivre autrement. — On évoque encore le fantôme de la mainmorte; mais rien n’est plus facile que de conjurer ce danger. Qu’on limite la quantité d’immeubles que chaque institution pourra posséder. D’ailleurs, en Amérique, en Angleterre, l’étendue des biens de mainmorte ou de majorat est immense. On ne remarque pas pourtant que ces pays soient moins riches, moins prospères que les autres. — Vous insistez, et vous dites que l’université catholique, personne civile, l’emporterait bientôt sur ses rivales, et qu’elle arriverait ainsi à un monopole véritable. Si cela était, c’est que la sagesse de ses règlemens et l’excellence de ses leçons lui auraient valu la confiance de tous les parens, et dès lors qui pourrait s’en plaindre? Si un service de transport était si parfaitement organisé qu’il évitât toujours tout accident et qu’il accaparât par suite tous les voyageurs, ne faudrait-il point s’en féliciter? Mais cette appréhension de monopole est mal fondée. Le parti libéral, l’état tout au moins, peut donner à ses établissemens un développement proportionné à celui des institutions dont on craindrait la suprématie. Le pays ne pourrait que profiter de cette obligation imposée à tous les concurrens de rendre leur enseignement aussi parfait que possible.

Malgré ces raisons très plausibles en apparence et parfois très bien exposées[1], la répulsion qu’inspira la proposition de MM. Dubus et Brabant fut si violente qu’ils crurent devoir la retirer. Cependant le motif de cette hostilité de l’opinion ne fut point franchement dit au sein des chambres à cette époque. Aujourd’hui il saute aux yeux : ce qui fait que l’on n’accordera pas facilement aux établissemens catholiques, ni même aux églises catholiques, ce droit illimité de posséder et d’acquérir que l’ancien régime ne leur a concédé nulle part et que pourtant M. Prévost-Paradol déclare ne pouvoir leur être refusé sans iniquité, c’est que l’orthodoxie, par la voix des papes et des conciles, a condamné les principes sur lesquels repose la société moderne, et que, si l’église l’emportait définitivement, elle s’empresserait de les abolir. Quand on se trouve en présence d’un parti qui ne réclame la liberté pour lui qu’afin de la ravir aux autres dès qu’il sera le maître, ce n’est pas une raison suffisante pour lui refuser la liberté, car celle-ci, comme le soleil, doit être à tout le monde, mais c’en est une pour ne pas accorder des faveurs qui peuvent ramener un jour le despotisme théocratique. La personnification civile n’est pas une conséquence nécessaire de la liberté; c’est une exception au droit commun, que le législateur peut refuser quand il y voit un sérieux inconvénient. Ce qui est excellent

  1. Notamment dans une brochure sans nom d’auteur publiée à Louvain en 1841 sous le titre d’Examen de ta proposition de MM. Dubus et Brabant.