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niser, se gouverner et subsister. La direction suprême appartient à un conseil d’administration composé de onze membres que choisissent les souscripteurs. Le bourgmestre de Bruxelles ou un échevin délégué par lui préside de droit et a voix délibérative; la commune donnant un subside important et la jouissance des locaux, il est juste qu’elle intervienne par son principal magistrat. Ce conseil nomme et rétribue les professeurs, arrête le programme, exerce en un mot la direction suprême. Le nombre des étudians s’est élevé de 350 à 400. La dépense annuelle dépasse 100,000 fr. Les rétributions des élèves donnent plus de 60,000 francs. La ville de Bruxelles accorde un subside de 30,000 fr. et le conseil provincial du Brabant 10,000 fr. Trois souscriptions ouvertes en 1834, 1839 et 1843 ont produit un total de 212,050 fr. L’administration de l’établissement n’a jamais donné lieu à aucune difficulté; quoique ne jouissant pas de la personnification civile, son existence paraît complètement assurée pour l’avenir.

D’après ce qui précède, on voit que la liberté de l’enseignement en Belgique n’a pas été une lettre morte. Les deux puissans partis qui se disputent l’opinion ont trouvé chacun assez de ressources et inspiré assez de confiance pour fonder et soutenir une grande institution d’enseignement supérieur à côté des universités de l’état et en concurrence avec celles-ci. C’est un fait honorable et sans précédens sur le continent européen. Il n’a été possible que parce que ces deux partis ont de la fixité, de la permanence, parce qu’ils représentent ces deux forces qui, aujourd’hui plus que jamais, se disputent le monde, d’une part l’église catholique, qui au nom de son infaillibilité veut reconquérir son ancienne suprématie, et d’autre part l’esprit moderne, qui résiste et prétend conserver son indépendance. La liberté illimitée de l’enseignement a été utile. C’est une conquête définitive à laquelle on ne touchera pas. Nul ne s’en plaint, car elle n’a pas donné lieu au moindre abus.

Ce qui est plutôt menacé, c’est l’instruction supérieure donnée par l’état. Elle l’est en Belgique, elle ne manquera point de l’être en France, et pour les mêmes raisons. Elle a deux genres d’adversaires, tous deux également puissans; quoique parlant au nom de doctrines et dans des vues complètement opposées, ils se servent d’argumens identiques. Beaucoup d’économistes et d’amis très ardens, — j’ajouterai en ceci très aveugles, — de la liberté, disent : Le rôle propre de l’état est de maintenir l’ordre et de garantir la sécurité contre les ennemis du dehors et du dedans, mais il ne lui appartient pas d’enseigner, car il n’a pas de doctrines. Est-il rien de plus absurde que de voir l’état, coiffé du bonnet de docteur, monter en chaire pour exposer un système de philosophie ou de cosmogonie? Il ne le peut qu’en restant dans la sphère des