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faveur un subside annuel de 30,000 francs, et lui céda la jouissance d’un excellent local, parfaitement situé.

Un écrivain d’un esprit très fin et très sensé, né à Paris, mais depuis longtemps professeur en Belgique, M. Baron, exposa clairement dans le discours d’ouverture la raison d’être de l’institution nouvelle. « Et par le nom imposé à son université, disait-il, et par ses propres déclarations, l’épiscopat belge reconnaît que ses doctrines scientifiques seront de nécessité spéciales et restreintes, car elles se rattachent à un dogme d’obéissance passive que rejettent péremptoirement la Russie, la Grèce, la Suède, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Prusse, une partie considérable de l’Allemagne et des États-Unis d’Amérique, c’est-à-dire la grande majorité de la civilisation humaine, — à un dogme qui, même dans les états catholiques, est contesté par une foule d’esprits religieux. Les doctrines de l’université catholique seront inévitablement incomplètes et arbitraires, car non-seulement elles s’arrêtent comme les nôtres au pied des limites infranchissables de la morale universelle et des lois, mais elles devront se resserrer, se modifier, se plier, se tordre en tout sens, suivant la suprême volonté des six dignitaires auxquels le recteur, unique modérateur de l’enseignement, jure fidélité et obéissance. Mais une autre opinion s’élève à côté de la leur, c’est que les sciences purement humaines doivent rester entièrement en dehors du catholicisme. Ce n’est point être hostile au catholicisme que de tracer d’abord une puissante ligne de démarcation entre ses doctrines et les sciences humaines, et, cela fait, de cultiver tout à l’aise, mais avec le respect que nous devons aux croyances de la majorité de nos concitoyens, l’immense terrain qui nous est livré, de poursuivre dans toutes ses veines cette mine inépuisable, laissant à Dieu, comme disait un éloquent jésuite du siècle dernier, la nuit profonde où il lui plaît de se retirer avec sa foudre et ses mystères. » Le sens et le ton de ces paroles indiquent quelle a été l’attitude de l’université libre. Créée pour la lutte, elle a combattu le système et les visées catholiques, sans attaquer le dogme. De même que l’opinion qu’elle représentait, elle a fait profession de ne point sortir de la sphère laïque. C’était faire preuve de modération et de tact. Seulement l’université catholique trouve dans la foi une force de propagande et un titre à la confiance qui manquera toujours à sa rivale. Ce qui a beaucoup contribué au succès de l’université libre, c’est que, placée dans la capitale, elle a pu profiter de toutes les ressources que celle-ci présente, y recruter beaucoup d’étudians et y trouver des professeurs éminens qu’elle rétribue peu, mais qu’elle autorise à continuer l’exercice de leur profession.

Il n’est pas sans intérêt de voir comment un établissement d’enseignement supérieur fondé par quelques particuliers a pu s’orga-