portée que ne lui en attribue celui qui l’a laissé échapper dans un accès de découragement.
Tu regere imperio populos, Romane, memento.
Le vers du poète est encore vrai : la Rome chrétienne a toujours
laissé la théologie aux docteurs des universités et des ordres religieux, gardant pour elle la science du droit canon et l’art de gouverner. Malheureusement pour elle, ni cette science profonde ni cet
art consommé ne suffisent à diriger le monde chrétien dans les circonstances actuelles. Il en est de la démocratie religieuse comme
de la démocratie politique; il leur faut à toutes deux pour vivre de
plus en plus de liberté et de lumière, de moins en moins de discipline et de gouvernement. C’est au moment où les sociétés civilisées aspirent à se gouverner elles-mêmes que l’église romaine
arrive à la plus absolue formule du gouvernement personnel. Il ne
faut pas être prophète pour prédire qu’un pareil régime ne sera pas
plus la loi des sociétés religieuses que des sociétés politiques de
l’avenir. L’esprit du christianisme libéral prévaudra sur le génie
tout politique du catholicisme romain, non par un schisme qui
n’est plus d’un temps trop peu ardent pour les questions de dogme,
mais par une transformation lente et continue de la conscience religieuse tendant à se confondre de plus en plus avec la conscience
morale des sociétés modernes. Quand des protestans comme M. de
Pressensé, quand des catholiques comme MM. Dupanloup et Gratry
en viennent à prendre pour leur propre église le nom même de
christianisme libéral, qui est le symbole des plus hardies réformes
du jour, on sent que ce n’est pas la cour de Rome qui arrêtera l’essor de la pensée religieuse. « C’est dans la liberté et par la liberté
que la grande bataille du christianisme a été livrée et gagnée à son
âge héroïque, au travers même de l’oppression extérieure et de la
persécution. Je ne connais pas d’autre moyen de reconquérir le
monde aujourd’hui[1]. »
Rome n’est pas de cet avis. Certes il y a bien des degrés dans le christianisme libéral; la liberté des catholiques ne peut se donner carrière comme celle des protestans; mais Rome, qui s’entend en discipline, les comprend tous dans cette maladie universelle qu’on appelle l’esprit du siècle, ne sentant pas que le vrai danger qui menace son église aujourd’hui, c’est le sommeil léthargique d’une foi passive et servile. On dit que ce ne sont pas les libres penseurs qui lui causent le plus de déplaisir en ce moment; nous le croyons
- ↑ De Pressensé, Histoire des trois premiers siècles de l’église chrétienne, t. V, avant-propos.