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de ces hauteurs spéculatives dans les nécessités pratiques d’une discipline aussi minutieuse que rigoureuse. Comme toutes les institutions dont l’histoire montre le développement, le christianisme n’avait pas le choix des moyens pour se répandre, s’établir et se conserver ; quels que fussent son origine et son génie propre, il n’avait pas plus la liberté de ses allures que toute autre institution humaine. Il ne pouvait échapper à la loi qui régit le développement de toute chose dans le temps et dans l’espace ; l’idéal ne se réalise qu’à des conditions qui ne permettent pas toujours de maintenir la pureté du principe ou de l’origine. Voilà comment l’historien philosophe se trouve d’accord avec le chrétien orthodoxe sur la légitimité des dogmes et des institutions dont s’est enrichi ou compliqué, si l’on veut, le christianisme primitif.

Mais il est bien autrement d’accord avec le chrétien libéral. Ici ce n’est plus la nécessité historique qu’il a en vue, c’est la lumière même de l’idée qui le fait se reconnaître dans le mouvement religieux tout opposé qui s’est produit depuis la fin du moyen âge jusqu’à nos jours. La nécessité, si ce mot peut être employé, du progrès qui relève la religion du Christ, tombée dans les ténèbres et les barbaries du moyen âge, n’est plus une loi extérieure et matérielle de la réalité ; c’est une loi intérieure et toute spirituelle de l’idée qui, trouvant une nature meilleure et mieux préparée, soit dans les individus, soit dans les sociétés des temps modernes, se développe de plus en plus librement, se réalise de plus en plus complètement, à mesure qu’elle se sent plus soutenue par l’état de civilisation qui correspond à son expansion. Donc, sans partager les regrets du chrétien libéral en tout ce qui concerne le passé, l’historien philosophe comprend et juge comme un continuel progrès, dans le sens absolu du mot, le travail d’épuration et de simplification qui se fait dans les âmes et dans les églises chrétiennes à partir de la renaissance, qui rend la liberté à la foi religieuse par la réforme de Luther, qui dégage la doctrine du Christ, soit des subtilités du symbole alexandrin, soit des rigueurs du dogme paulinien, pour la montrer au monde moderne dans toute la pureté de sa lumière et dans toute la force de sa vertu. S’il ne peut être hostile ou même indifférent à l’histoire des dogmes et des institutions qui ont servi à l’établissement du christianisme, combien sera-t-il plus sympathique à l’histoire des luttes soutenues et des efforts tentés pour l’affranchir des servitudes qui pèsent aujourd’hui sur lui, et le ramener à ce haut idéal de toute conscience vraiment chrétienne qui se confond par certains côtés avec l’idéal même de la conscience moderne !

Quel peut être l’avenir du christianisme libéral dans les sociétés