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passé, ils renvoient toutes les parties du dogme proprement dit, depuis la théologie paulinienne et alexandrine jusqu’à la théologie scolastique, ne gardant que ce qui fait à leurs yeux le fond, l’essence, l’esprit même du christianisme, la douce et haute doctrine de Jésus. Et encore, comme il est difficile de ne pas retrouver dans cet enseignement si pur et si parfait quelques réminiscences témoignant du génie étroit du peuple auquel le Christ appartient, les docteurs du christianisme libéral réduisent leur religion à l’idéal plutôt qu’à la réalité évangélique, et, sans nier celle-ci, ne conservent de la légende que la figure d’un Christ vraiment divin, en ce qu’il n’aurait plus rien de commun avec les misères de l’humanité. Que le Christ ait été réellement l’homme que les Évangiles nous racontent, l’école, ou, si l’on veut, l’église dont nous parlons, n’en fait point un article essentiel de sa religion. L’idéal lui suffit, et, n’en trouvant pas un plus riche et plus élevé dans la conscience moderne, elle le propose à la foi du présent, à la foi de l’avenir, comme ; l’idéal même de la conscience humaine.

Nul n’a mieux défini ce christianisme que M. F. Pécaut, l’un de ses plus nobles et de ses plus graves docteurs. « Ce n’est pas que nous attachions, dit-il, à ce nom de chrétiens un prix superstitieux ni une sorte de vertu magique ; mais, qu’on le veuille ou non, notre idéal moral et religieux est dans ses traits essentiels le même que l’idéal de Jésus, et nous sommes sa postérité… La gloire ineffaçable de l’Évangile, son attrait immortel, c’est toujours d’être la bonne nouvelle, la nouvelle de la grâce, de l’esprit de vie qui nous assure de l’amour de D’eu, et nous affranchit de la servitude du remords et du mal. C’est là une révélation appelée par l’âme humaine, et par conséquent écrite dans ses tablettes intimes : les voyans s’essaient à la lire en eux-mêmes, et de siècle en siècle ils apprennent chez divers peuples à déchiffrer le nom du Père jusqu’à ce que Jésus, en le prononçant tout haut, fasse tressaillir d’une allégresse féconde la vieille terre fatiguée de longs efforts. De là, comme d’une source généreuse, s’échappent en filets d’eau vive les meilleurs sentimens qui vont désormais féconder la civilisation chrétienne, l’humilité, la confiance, l’espoir inébranlable, la dignité intérieure, le dévoûment obscur même envers les méchans. Conçoit-on aujourd’hui une idée religieuse supérieure à celle-là ? Qui voudrait la répudier ? qui oserait en dépouiller ses frères et s’en dépouiller soi-même ? Elle est le dernier fond de nous-mêmes, si humaine, si naturelle, mais si profonde et si malaisée à lire pour l’œil profane que les hommes ravis l’ont crue surnaturelle et surhumaine[1] ! »

  1. Voyez les numéros de janvier et de février de l’Alliance libérale de Genève. — Conférences de M. Pécaut.