Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

damnation n’ont aucun mérite personnel qui puisse leur valoir le don de la grâce, il s’ensuit que Dieu la répand sur qui il veut, et que les hommes sont véritablement prédestinés au bien ou au mal, au salut ou à la damnation, la grâce étant le principe de tout mérite. On voit comment tout se tient et s’enchaîne dans cette complète et compacte doctrine de la chute. Or ce dogme qui est le pivot de toute la doctrine paulinienne, Paul ne l’a pas trouvé sur le chemin de Damas, il l’a trouvé dans la Bible elle-même, où il est déjà le principe de toute l’ancienne loi. Au fond, Paul n’a inventé aucun des grands dogmes de sa doctrine, ni la chute par le péché originel, ni la perversité radicale de la nature humaine à la suite de ce péché, ni la justification par la grâce, ni la prédestination, ni l’infériorité naturelle de la femme. Seulement il a renouvelé la vertu de tous ces dogmes en les faisant entrer dans la loi nouvelle qu’il définit d’un mot : la foi à Jésus-Christ, le verbe incarné de Dieu. Voilà comment la bonne nouvelle est devenue un dogme, et le messie un rédempteur.

La pensée chrétienne ne pouvait s’arrêter au Symbole des apôtres. En quittant la Judée avec Paul et sus compagnons, la nouvelle prédication tombait au milieu des visions du gnosticisme oriental et des théories de la philosophie grecque. La docte culture des platoniciens qui passaient des écoles de la philosophie dans les églises de la nouvelle religion ne pouvait pas plus se contenter de la théologie de la Bible et des épîtres que la mystique ivresse des gnostiques qui se faisaient chrétiens. Aux uns et aux autres, il fallait de plus hauts sommets et de plus vastes horizons. Aussi voyons-nous la doctrine nouvelle se développer et se compliquer de plus en plus en s’enrichissant de conceptions de la plus haute portée métaphysique. Si l’on peut dire que Paul avait eu le pressentiment de ce magnifique progrès quand il a cité aux Athéniens le vers d’Aratus : en Dieu nous avons la vie, le mouvement et l’être, il est difficile de reconnaître soit dans les trois premiers Évangiles, soit dans les Actes des apôtres, soit dans les épîtres de Paul, le dogme de la divinité de Jésus-Christ, et encore moins le dogme de la Trinité. C’est l’Évangile de Jean, d’une date postérieure et d’un esprit bien différent, qui ouvre à la foi des nouveaux docteurs des perspectives où la théologie alexandrine devait se complaire et se plonger de plus en plus. C’est dans ce livre mystique qu’apparaissent les premiers linéamens de cette doctrine savante et profonde qui sera élaborée par les pères alexandrins, puis formulée par les grands conciles de Nicée, de Constantinople, d’Éphèse, de Chalcédoine. Cette nouvelle doctrine du Verbe et de la nature divine en trois personnes, en embrassant dans une seule formule les trois aspects de la divinité que la philosophie contemporaine exposait et définissait à sa façon,