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si large et si douce, on oppose celle de Paul, si forte, mais si dure, on se prend à regretter que la religion de la charité et de l’amour ait trouvé pour interprète le docteur du péché originel, de la grâce, de la prédestination, de l’infériorité de la femme, de l’impureté du mariage. Toutefois, en face d’une telle œuvre, d’un tel rôle et même d’un tel personnage, l’histoire ne permet pas de s’abandonner à ce genre d’impression tout esthétique. Que la sagesse de Jésus ait été de tout temps et soit surtout aujourd’hui la haute lumière du christianisme, que son amour pour Dieu et pour les hommes en soit le plus pur sentiment, cela n’est pas douteux; mais disons encore une fois que, s’il y a là l’esprit d’une religion, il n’y en a pas le corps, à proprement parler. Autant qu’il nous est permis d’en juger à travers les obscurités et les fictions de la légende, si Jésus a été le prophète inspiré, Paul a été le docteur de la nouvelle religion; en tout cas, il en a été le premier et le plus grand. Il ne faut d’ailleurs jamais oublier que l’histoire fait toujours tort à ses personnages en les laissant voir dans toute leur réalité, tandis que la légende idéalise et transfigure les siens. Ce que M. Havet a si bien dit de Socrate nous est revenu à la pensée à propos du portrait de l’apôtre Paul tracé par M. Renan. La réalité, physique ou morale, garde toujours quelque chose de laid, d’incorrect ou d’insignifiant qui lui nuit, alors surtout qu’on la confronte avec un idéal quelconque.

Où Paul a-t-il trouvé cette doctrine que ne contient pas la tradition évangélique? Ce serait, s’il faut l’en croire, dans une révélation toute personnelle. La vérité lui est apparue dans sa vision de Damas, telle que n’a pu la voir aucun de ceux mêmes qui ont connu et entendu Jésus vivant. C’était là, comme on sait, le grand sujet de débat entre Paul et les apôtres, compagnons de Jésus. Comment pouvait-il porter la parole au nom du Christ, lui qui ne l’avait jamais vu ni entendu? C’est à cette objection que répondait Paul par le miracle de sa révélation particulière. Pour la critique qui connaît les textes de l’ancienne loi et qui sait combien le jeune docteur y était versé, la véritable révélation de Paul fut la méditation profonde et persévérante de cette loi éclairée par toute la science des maîtres qu’il entendit. Toute la doctrine de Paul repose sur le dogme du péché originel. C’est ce péché qui a vicié la nature humaine. Depuis la faute d’Eve et d’Adam, toute œuvre de l’homme fut mauvaise. La grâce de Dieu seule a pu justifier et sauver ceux dont il a bien voulu faire ses élus. Depuis l’arrivée du Christ, cette grâce est devenue le don de tous les hommes qui ont la foi au messie rédempteur, à sa mort, à sa résurrection, à sa doctrine. C’est la foi, non les œuvres, qui justifie et sauve toute nature humaine, impuissante par elle-même à faire un acte de justice et une œuvre de salut. Et comme toutes ces âmes également vouées par leur nature au mal et à la