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rares exceptions, elles sont trop pénétrées de l’esprit historique, qui est le génie même de ce siècle, pour ne pas comprendre que toute doctrine, toute institution, quelle qu’en soit l’origine, subit l’action des temps, des lieux et des sociétés dans lesquels elle vit. Fût-elle tombée du ciel, si absolue, si immuable qu’elle s’affirme dans la conscience de ses croyans, elle n’échappe pas plus que les autres réalités à la loi universelle du devenir. C’est la loi de la vie. Il en est des doctrines comme des langues : tant qu’elles sont vivantes, elles changent. L’immobilité est l’attribut de la mort; la majesté des choses religieuses, quoi qu’on en ait dit, tient à de tout autres caractères. Et non-seulement le christianisme a changé, mais, de même que toutes les autres institutions historiques, il a changé sous l’influence des temps et sous la main des hommes. Il a son histoire, comme toutes les doctrines ou institutions humaines; il a subi l’influence des grands événemens; il a reçu l’empreinte des idées dominantes; il a puisé aux sources de la sagesse profane; il s’est nourri de la substance commune des vérités acquises à la science et à la conscience humaines; il s’est enrichi des inspirations des individus qui en ont fait l’objet de leurs profondes méditations; il a eu ses docteurs de génie, ses héros de la pensée, disons le mot, ses révélateurs, de second ordre, si l’on veut; il a eu ses vicissitudes et ses révolutions; enfin il n’a jamais cessé d’être en communication intime avec l’esprit humain et en rapport direct avec l’état des sociétés au sein desquelles il a vécu. Histoire pleine de mouvement et d’intérêt qui donne aux mots ancien et nouveau christianisme une valeur tellement significative que, s’il est permis à un théologien orthodoxe et à un philosophe abstrait de n’en pas saisir l’importance, il est impossible à un historien d’en laisser échapper le sens!

Autre chose est l’histoire du dogme chrétien, et autre l’histoire du christianisme. La première semble à peu près épuisée; le dogme est complet, trop complet peut-être, si l’on songe à l’immaculée conception, qui a passé à l’état de dogme, et à l’infaillibilité absolue du pape, qui est en voie d’y arriver. La seconde est loin d’être close; nulle science ne peut prévoir quand et comment elle le sera; nulle philosophie même ne peut décider a priori si elle doit l’être jamais, tant il y a tout à la fois de fécondité et d’élasticité dans la pensée chrétienne ! Si la cour de Rome a la prétention de la fixer et de l’enfermer dans les formules de son Syllabus, si la minorité du concile, un peu plus libérale que la cour de Rome, espère en finir par quelques concessions habiles avec l’agitation religieuse du monde chrétien, si enfin les synodes protestans s’imaginent que la révolution dont Luther fut le promoteur s’arrêtera au symbole de la réforme, nous croyons que toutes les autorités plus ou moins officielles et orthodoxes du christianisme catholique et protestant se