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cens si émus et si pathétiques pussent s’échapper du cœur d’un Tedesco? Nous ferons le plus grand éloge du livre en disant qu’on le croirait l’œuvre d’une plume italienne. »

Un journaliste français, moins lyrique que l’Italien, mais peut-être plus précis, déclarait qu’à part un peu de sentimentalité allemande (d’une expression d’ailleurs assez modérée), le livre était si méthodique et si clair qu’il semblait être l’œuvre non d’un Allemand, mais d’un compatriote de Voltaire.

Ivan, en son âme de bon patriote allemand, était bien un peu choqué de voir l’Italien et le Français revendiquer le monopole du sentiment et de la clarté; mais quand je lui eus fait comprendre que chacun d’eux faisait de mon livre le plus grand éloge qu’il en pût faire, il déclara que les articles étaient très bons.

Cependant le livre de la Sympathie fit petit à petit son tour d’Allemagne, et il en rejaillit une certaine gloire non-seulement sur l’auteur, mais encore sur toute l’université de Munchausen. Un beau jour, une députation d’étudians m’invita à un grand banquet universitaire. Ce banquet, auquel assistaient tous les professeurs et que présidait le recteur, fut « d’une gaîté folle, sans l’ombre de désordre, » ainsi que le constata la Concordia de Munchausen, journal bien renseigné. On chanta beaucoup de chants patriotiques, on but beaucoup de bière « à la grande patrie allemande, aux lettres allemandes, à la langue allemande. » A la fin du banquet, on but à la grande patrie européenne, puis bientôt à l’univers entier.

Un étudiant, aidé de quelques amis complaisans, monta sur la table, et, tenant son verre à la hauteur de ses yeux, se mit à saluer gravement; cela voulait dire qu’il allait parler.

— Je bois, dit-il, à la mise en pratique de cette vertu de sympathie qui a fourni au héros de cette fête le sujet d’un si beau livre. Je bois à la concorde éternelle des étudians de Munchausen.

Tout le monde but à la concorde éternelle des étudians de Munchausen.

— A la bonne harmonie des étudians et des bourgeois de Munchausen, cria l’orateur encouragé par le succès.

Tout le monde but à la bonne harmonie des étudians et des bourgeois de Munchausen. Sur la motion d’un membre de l’assemblée, il fut décidé par acclamation qu’à partir de ce jour on cesserait de donner aux habitans le nom injurieux de philistins.

Alors le jeune homme, se cambrant avec fierté, leva une dernière fois son verre, et vociféra dans un paroxysme d’enthousiasme :

— Au triomphe universel des théories würtziques !

Tous, moins un, burent au triomphe universel des théories würtziques. Cet un, c’était moi. Je ne pouvais décemment boire à ma