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chais encore un autre expédient lorsque Ivan entra avec toute la bande sur ses talons. Un grand garçon avec des cheveux bruns et des yeux malins fit un pas en avant, et après un profond salut :

— Monsieur le professeur, dit-il, c’est moi qui ai eu le malheur, la nuit dernière, de vous lancer cette boule de neige... (Comment, misérable !... et tu oses me le dire en face! — C’est en moi-même que je faisais cette remarque.) Je viens, en présence de mes camarades, vous faire d’abord mes excuses et me soumettre ensuite à telle réparation qu’il vous plaira d’exiger. (Ici, mon cœur battit très fort et s’emplit d’une grande joie, je commençais à comprendre.) Nous attendions une autre personne qui avait mal parlé des étudians, le baron von der Schield; j’avais fait le pari de l’atteindre au nez. (Je ne pus m’empêcher de sourire en songeant comme il avait visé juste.) Nous avons été trompés par votre vêtement. J’en suis désolé, car nous voue aimons et nous vous respectons comme vous le méritez.

J’étais tout troublé, il me semblait que je chanterais volontiers, et en même temps que cela me ferait du bien de pleurer. Je serrais violemment toutes ces mains qu’on me tendait sans savoir que dire; à force de chercher quelque chose qui fût en situation, voici ce que je trouvai :

— C’est égal, mon cher ami, quand c’eût été le baron von der Schield en personne, vous auriez pu frapper moins raide !

Tout le monde se mit à rire, et moi plus fort que les autres, et nous nous séparâmes les meilleurs amis du monde. A peine les étudians avaient-ils disparu que je tirai vivement le paquet d’épreuves du panier où je l’avais jeté. Je dépliai les feuilles, et, les écartant de mes yeux à la longueur du bras, je regardai d’abord quelle figure faisait ma prose, maintenant qu’elle était imprimée; puis, séance tenante, je commençai la correction.


VIII.

Ce fut là ma dernière tentation sérieuse; depuis ce jour-là, ma vie a toujours été douce et facile. Si jamais dans les hivers qui suivirent il m’était arrivé de recevoir quelque boule de neige sur l’oreille ou sur l’œil, je me serais contenté de panser la partie malade, sûr d’avance que le coup ne m’était pas destiné. C’est bien quelque chose cela !

Les paquets d’épreuves de mon livre se succédèrent si régulièrement et si rapidement que l’ouvrage fut bientôt en état de paraître : il parut. Qu’allait dire la critique, et que penserait le public