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tinée de février, en attaquant avec l’ongle les étincelantes feuilles d’acanthe dont la gelée avait brodé mes vitres et qui m’empêchaient de voir dans la rue. Que j’étais loin alors de prévoir ce qui m’attendait ce jour-là même !

Mon manuscrit étant livré à l’imprimeur, j’étais condamné pour quelques jours à l’inaction. Pour tuer le temps, qui me semblait d’une lenteur désespérante jusqu’à l’arrivée des épreuves, j’allai passer une partie de la soirée chez un ami, malgré la neige épaisse et le froid piquant. Il était à peu près onze heures quand je revins. J’avais, pour marcher dans la neige, de bonnes grosses bottes fourrées, chef-d’œuvre de mon voisin Schnaps, et, pour me défendre du froid, une bonne pelisse neuve et un bonnet de fourrure que j’avais tiré sur mes yeux. Je m’avançais en trottant dans la neige épaisse, songeant au bon feu qui m’attendait et au paquet d’épreuves qui serait peut-être arrivé pendant mon absence et que je voyais déjà posé au pied de la lampe. Parvenu dans la rue du Porte-Glaive, à la hauteur de la ruelle de l’Homme-Masqué, j’entrevis un groupe de personnes qui semblaient guetter quelqu’un. De plus près, aux reflets de la neige, je reconnus que c’étaient des étudians. Par un mouvement naturel, je tirai, malgré le froid, ma main droite des profondeurs comfortables de ma pelisse, tout prêt à répondre au salut qu’ils ne manqueraient pas de m’adresser quand je passerais auprès d’eux. Comme je n’étais plus qu’à quelques pas, j’entendis que l’on disait : — C’est lui, attention ! — Aussitôt un bras se leva, armé d’une boule de neige qui me parut énorme. Instinctivement je levai le bras de mon côté; il n’était que temps, j’arrivai tout juste à la parade. Le visage était sauf, mais je reçus au poignet une violente secousse, et je fus aveuglé un instant par les parcelles de neige qui voltigèrent autour de mes lunettes.

L’attaque était si imprévue, si étrange, que je n’en compris pas d’abord toute la gravité. Je continuai ma route, tout étourdi de la secousse. Au moment où je passais sous une lanterne, j’entendis que l’on se disputait, et quelqu’un du groupe appela l’homme à la boule de neige maladroit. — Maladroit ! merci bien ! pensai-je aussitôt, — J’avais tout le poignet engourdi de la violence du coup. Qu’eût-ce donc été si la boule m’avait écrasé le nez ou crevé les yeux du débris de mes lunettes !

J’étais ému du danger que j’avais couru, mais surtout indigné de la déloyauté et de l’hypocrisie de ces jeunes gens. Le côté ridicule de cette aventure me révoltait et me ramenait aux plus mauvais sentimens d’autrefois. Je détestais ces étudians; j’aurais voulu leur nuire et me venger. Ah ! si seulement le jour qui allait suivre eût été un jour d’examens; mais ils n’y perdraient rien !

Voilà ce que je pensais en rentrant chez moi comme un furieux,