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Ici mon hôte sourit et secoua la tête de l’air de quelqu’un qui dit : Je ne veux pas vous interrompre; mais entre nous vous êtes beaucoup trop modeste.


M. le professeur Würtz continua ainsi :

Frappé de l’effet qu’avait produit sur moi la simple phrase du professeur de mécanique, je pris la ferme résolution de chercher dans mon enseignement, entre toutes les formes de la vérité, celle qui doit le plus frapper et le mieux convaincre les esprits. C’est sûrement moins commode de se contraindre à chercher cette forme si précise que d’adopter une de celles qui s’en rapprochent suffisamment; mais, quand on est professeur, il faut être bon professeur. Il faut chercher non pas sa convenance, mais l’avantage et l’avancement moral de ceux qui vous écoutent. Notez cela sur vos tablettes, mon cher Gellert, car, sans être professeur, il y a toujours dans la vie un moment où tout homme se trouve mis en demeure d’en instruire un autre et de le rendre meilleur. La seconde idée est celle-ci : les moralistes, au lieu de répéter sans cesse qu’il faut éviter le mal et pratiquer le bien, devraient de temps en temps préciser quel est le devoir de chacun de nous, et dire quels sont les moyens les plus simples et les plus pratiques de l’accomplir.

Pendant plusieurs jours, je fus poursuivi de cette idée, qu’aucun mouvement de l’âme ne se perd, et que le plus indifférent a son écho dans toute la suite de la vie. Je songeais que, si le professeur Würtz, par exemple, était ce personnage épineux, bourru et malveillant que tout le monde détestait, c’était la faute de l’étudiant Würtz, de l’écolier Würtz, qui n’avait jamais eu aucun souci de travailler son âme. Et il me semblait clair comme le jour que, si ledit Würtz avait un peu de courage, il se mettrait à l’œuvre, non pas demain, mais tout de suite, pour transformer son âme, comme les modeleurs transforment une masse d’argile en une belle statue.

Je dois l’avouer franchement, il y avait dans mon enthousiasme et dans mon désir d’essayer une transformation beaucoup plus de curiosité scientifique que d’aspiration sincère vers une régénération morale. J’étais si habitué à être ce que j’étais, que je n’entrevoyais pas bien ce que je pouvais gagner à un changement. C’est une force si terrible que celle de l’habitude! Je résolus donc, comme essai, de combattre une habitude par une autre. Or tous les griefs que l’on avait contre moi et tous les reproches que l’on m’adressait avaient leur origine dans l’égoïsme, qui avait trouvé commode, pour écarter les fâcheux, de s’envelopper de misanthropie et de rudesse. Je résolus donc de porter d’abord toute mon attention de ce côté : mais par où commencer?