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viendra se briser, s’il ne compliqua point sa situation critique par une marche toujours bien dangereuse en nombre si inférieur. Les 100 chasseurs à cheval et une des petites colonnes d’infanterie contiennent les Arabes qui cherchaient à couper les Français par derrière; mais vers la droite des flots de cavaliers s’approchent en faisant un feu en échiquier. « En avant, en avant! Ils sont si peu, s’écrient-ils, que nous les emporterons tous sur un seul cheval. » Déjà ils agitent leurs burnous, on les entend s’exciter à la charge sans être intimidas par la mitraille du seul obusier qu’on puisse leur opposer, l’affût de l’autre pièce s’étant brisé au début du combat.

Cette masse pénètre dans les intervalles des colonnes, trop séparées pour se soutenir mutuellement; c’en est fait des 735 Français, ils périront jusqu’au dernier! Le colonel Duvivier porte rapidement en avant sa colonne de droite, place lui-même les guides, comme à la manœuvre; le demi-bataillon se déploie à la course; des feux de peloton, vivement répétés et ajustés avec sang-froid, renversent la cavalerie, qui s’arrête et tâtonne. Mais un danger plus pressant reste à vaincre : l’infanterie turque s’avance en colonne serrée, drapeau en tête, et précédée d’une ligne de tirailleurs perpendiculaire à l’arrière du flanc droit des Français ; c’est encore le demi-bataillon des tirailleurs d’Afrique, commandé par le brave Pâté, qui, en exécutant rapidement un changement de front, la droite en arrière, fait face à ce nouvel ennemi. De nouveaux feux de peloton, à portée de pistolet, abattent toute la tête de la colonne turque; 100 des plus braves tombent morts, deux porte-drapeaux sont tués, enfin le troisième recule, l’infanterie s’éloigne, et le détachement de sapeurs achève de la mettre en désordre.

Ces musulmans, qu’un chef vigoureux eût encore ramenés à l’attaque, n’étaient plus qu’une cohue sans direction, car Ben-Hamelaoui, plus habitué aux intrigues du sérail qu’aux émotions de la guerre, s’était enfui, et, après une course de 25 lieues sans reprendre haleine, il ne s’était arrêté qu’à Constantine, où il apaisa par de riches présens la juste colère de son maître, encore plus cupide qu’ambitieux.

Ce brillant combat, exemple frappant de ce que l’emploi opportun de la tactique européenne peut contre le grand nombre, ne coûta aux Français que 68 tués ou blessés; le colonel Duvivier, maître du champ de bataille, les rapporta tous dans le fort de Guelma, contre lequel l’ennemi, dispersé et découragé, n’osa plus rien entreprendre. L’importance de ce poste était surtout politique; séparé de la route directe de Constantine par le cours torrentueux de la Seybouse, il ne réunissait pas toutes les conditions propres à en faire le point de départ d’une expédition contre cette ville.