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il le sera, s’il le veut, à son heure. Pour le moment, il ne pourrait pas même se faire illusion : ce qu’on nommerait en lui, ce ne serait pas l’homme de talent, ce ne serait ni l’auteur du livre du 19 Janvier ni l’orateur éloquent ; ce serait tout simplement le premier ministre, c’est-à-dire qu’il solliciterait et accepterait une distinction qui s’adresserait moins à sa valeur personnelle qu’à sa situation. Ce ne serait pas très flatteur pour son orgueil. D’ailleurs M. le garde des sceaux a bien d’autres choses à faire : il a une réforme politique à réaliser jusqu’au bout, sans la laisser flotter dans le vague, sans la laisser dégénérer ; il a, s’il le peut, à être un ministre actif, habile et heureux, assez bien inspiré pour ne pas mêler à la préoccupation des grandes choses la poursuite des petits succès d’amour-propre. Sait-on ce qui arriverait ? M. Émile Ollivier s’exposerait à ce qu’on put croire que l’autre jour il avait sa candidature en tête, qu’il adressait un appel mystérieux à ceux qui disposent des élections académiques, lorsqu’à propos de l’augmentation prochaine du nombre des sénateurs il disait, en accentuant ses paroles, que cette mesure offrirait « des facilités nouvelles à ces réconciliations et à ces rapprochemens qui, loin de mettre l’empire en péril, sont pour lui une force et un honneur. » C’est déjà un mal qu’on ait pu chercher quelque préoccupation personnelle dans l’exposé des motifs d’une grande mesure politique. S’il y avait dans ces suppositions quelque vérité, il y aurait un académicien de plus, le ministre n’en serait pas plus grand. On voit bien que tout cela ne peut convenir ni à l’Académie ni à M. Émile Ollivier. Quelque jour, plus tard, lorsque M. le garde des sceaux ne sera plus au ministère, l’Institut lui préparera un fauteuil qui cette fois sera bien donné à l’homme de mérite, — et en attendant l’Académie poursuit le cours de ses réceptions. Aujourd’hui même M, le comte d’Haussonville raconte dans un ingénieux et piquant discours la biographie de M. Viennet, le spirituel vieillard, le poète-soldat qui a eu tant de tragédies, d’épopées et d’épîtres tuées sous lui, et qui n’est pas moins arrivé allègrement à ses quatre-vingt-dix ans, quoiqu’il eût Arbogaste et la Franciade sur la conscience. M. d’Haussonville raconte cette aimable existence d’un tour très vif qui contraste le mieux du monde avec la sévérité de ses récits des luttes de Napoléon et du pape Pie VII, et M. Saint-Marc Girardin, qui reçoit M. d’Haussonville, n’est pas homme à se laisser dépasser dans ces tournois de l’esprit.

Que se passe-t-il en Allemagne ? Après les ébranlemens de ces dernières années, la politique a visiblement quelque peine à reprendre son équilibre. Elle est toujours agitée de troubles secrets et de perpétuelles luttes d’influences qui produisent dans la vie publique des divers pays d’incessantes oscillations. C’est ce qui explique ces crises du pouvoir qui éclatent un peu partout, et dont la cause dominante, essentielle, est la situation précaire où reste l’Allemagne du sud. On ne peut pas douter que depuis quelque temps il n’y ait dans les contrées méridio-